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autrement ; que le premier enfant, né avant 1883, était fils naturel, sans aucun droit sur la succession ; que le second, né en 1886, était légitime et devait être admis, ainsi que sa mère, au partage des biens. Il est vraisemblable que Mrs Gall a accueilli cette décision avec une satisfaction qui eût été plus complète si les juges avaient pu déterminer plus exactement où, quand, et par quel procédé s’était effectué son changement d’état.

De qui miss Jane Quick pouvait-elle bien être la femme en mai 1868 ? De la solution de cette question dépendait une fortune, et miss Jane Quick eût été fort en peine de la résoudre. Ce qu’elle pouvait dire, c’est que, le 10 juin 1850, elle avait épousé James P. Brenton, dans l’Ohio. De là ils s’étaient rendus dans le Nébraska ; puis, en 1863, en Californie. En 1864, Brenton la quitta sans dire où il allait et ne revint pas. Elle s’en fut vivre chez un nommé Joseph Walker, distillateur, pour le compte duquel elle faisait l’article dans les hôtels de la ville. Le bruit courait que Brenton était mort et qu’elle avait épousé Walker. Ce dernier était entendu dans sa partie ; il fabriquait, entre autres produits, un amer fort goûté des résidens de Stockton, et que Mrs Walker excellait à vendre. Encouragé par son succès, dont il lui était en partie redevable, stimulé par elle, il se décida à lancer son tonique sur le marché de San-Francisco ; et, grâce à une intelligente réclame dont elle prit l’initiative, il en écoula des quantités considérables. L’affaire était bonne, si bonne que M. Mac Donald, président de la Banque du Pacifique, et John C. Spencer, riche capitaliste, s’y intéressèrent pour moitié, et qu’en peu d’années Walker réalisa une grosse fortune.

En mars 1868, Mrs Brenton, toujours sans nouvelles de son époux fugitif, demanda et obtint le divorce pour cause d’abandon. En novembre de la même année elle épousait Walker, donc en mai elle ne le considérait pas comme son mari. Puis tous deux revinrent à New-York. Mais il était dit que miss Quick n’aurait pas la main heureuse dans le choix de ses époux ; peu après elle se séparait de Walker, qui lui allouait une pension alimentaire annuelle de 20,000 francs. En 1881, Walker mourait. En mai 1868, date de l’association avec MM. Mac Donald et Spencer, était-elle l’épouse ou l’associée de Walker, ses droits étaient-ils distincts des siens ou identiques ? Elle portait son nom, passait pour sa femme et la cour décida qu’elle l’était, bien que la cérémonie de leur mariage n’ait eu lieu que six mois plus tard.

L’examen des lois relatives au mariage et au divorce trahit, dans chaque état, l’incessante préoccupation du législateur. Partout il a voulu protéger et défendre la femme contre elle-même aussi bien que contre l’homme, de jouer les pièges qui pouvaient être tendus