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vous puissiez épouser ; » à quoi Kittson aurait répliqué : « C’est bien, c’est bien, j’en suis pour ce que j’ai dit. « Il était ivre, ajoute-t-il, et ils sortirent ensemble.

La cour, après audition, décida que s’il y avait eu offre de mariage ou mariage, ce dont la preuve n’était pas faite, le défendeur était en état d’ébriété, inconscient de ses actes, et débouta la plaignante.

L’aventure est vulgaire et les personnages sont peu intéressans ; mais ce qui est pour attirer l’attention, c’est qu’un pareil procès soit possible, c’est qu’une femme de cette classe puisse alléguer la désertion d’un amant d’un jour et une prétendue offre de mariage dont témoigne seul, en termes ambigus, un garçon cabaretier, pour réclamer une séparation qui serait la reconnaissance implicite du mariage, lui permettrait de porter le nom de sa victime, et plus tard, si elle lui survivait, de faire valoir ses droits à sa succession. Ce qui est pour surprendre, c’est que, si le garçon de salle eût été moins affirmatif quant à l’état d’ébriété du défendeur, le jugement pouvait être autre et Kittson déclaré marié. Il lui eût été loisible, il est vrai, de demander le divorce et facile de l’obtenir ; mais il restait tenu au paiement d’une pension alimentaire calculée d’après sa position de fortune, et Anne Clarke portait son nom.

La cour d’appel de New-York a rendu récemment un arrêt duquel il résulte, en effet, qu’un mari divorcé reste, quand même, l’époux de sa femme, à moins qu’il ne se remarie en dehors de la juridiction de la cour, — dans le New-Jersey, par exemple. Elle a décidé, en outre, que la pension alimentaire allouée à la femme en faveur de laquelle le divorce avait été prononcé devait être, en tout cas, payée la vie durant du mari : « ladite pension n’étant pas seulement destinée à assurer l’existence matérielle de la femme, mais une amende infligée au mari, et dont la mort seule l’exonérait. »

Les circonstances dans lesquelles ce dernier arrêt a été rendu sont caractéristiques. Un homme épouse une riche veuve. Peu après elle réclame le divorce, et l’obtient, ainsi qu’une forte pension alimentaire, lui possession de sa fortune, accrue de la rente que lui sert son mari, elle épouse un planteur du Sud, fort riche lui-même. L’époux divorcé s’estimant, vu ces circonstances, libéré du lourd fardeau de la pension à payer, songe à se créer un nouveau foyer. Il s’éprend d’une jeune fille, jolie, distinguée, mais sans fortune et ne pouvant se marier dans la juridiction de la cour, il franchit, avec sa fiancée, la frontière de l’état et l’épouse. A l’époque fixée pour le paiement de la rente à sa première femme, il refusa de s’exécuter, offrant de prouver qu’elle n’en avait nul besoin pour