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seulement ceux qu’il avait donnés à la jeune femme étaient d’un prix plus élevé ; en outre, il lui avait offert mille dollars si elle consentait à l’épouser, mais elle en demandait trois mille et l’affaire était encore en suspens.

Sur ce, Mrs Sielts, sans hésiter, s’en fut tout conter à son époux ; elle lui remit les lettres de l’alderman, lui expliqua très clairement que ledit alderman avait détourné à, son profit les trésors de tendresse qu’elle ne devait qu’à lui ; qu’en ce faisant Gortze lui avait causé un préjudice notable, qu’il eût donc à lui réclamer de ce chef une indemnité, qu’après examen et de bon accord les deux époux estimèrent au plus juste à la somme de 50,000 dollars (250,000 francs).

Les lettres ne pouvaient laisser subsister aucun doute dans l’esprit des juges et rarement témoin déposa plus allègrement que Mrs Siefts contre elle-même et son complice, expliquant par le menu les passages obscurs de la correspondance, précisant les rendez-vous et les dates, indiquant les localités, désignant les témoins à assigner, faisant sur tout le passé la plus éclatante lumière. C’était, disait-elle, son unique moyen d’expier les torts qu’elle pouvait avoir vis-à-vis de son mari, et, devant un repentir si touchant, attesté par un zèle si sincère, et la perspective d’encaisser une forte somme, comment M. Siefts eût-il pu refuser son pardon à l’épouse dévoyée, anxieuse de rentier au bercail ?

Mais le beau sexe n’a pas seul le privilège d’éclairer la justice et de lui faciliter sa tâche. Les avocats spéciaux affirment que, dans nombre de cas où la femme sollicite le divorce, arguant de l’infidélité de son époux, ils n’ont ni enquête à faire ni preuves à rechercher, le mari accourant de lui-même pour les leur mettre en mains, apportant spontanément les lettres qui établissent sa propre culpabilité. D’aucuns poussent le zèle jusqu’à proposer décrire sous leur dictée ce qui peut être nécessaire pour combler les lacunes du dossier ; ils élucident les points douteux, précisent les localités où le délit a été commis, indiquent quels témoins faire comparaître pour lever tous les doutes. Pour tant de zèle en faveur de la vérité ils ne mettent d’ordinaire qu’une condition : que la femme se contentera du divorce sans exiger de pension alimentaire. Ils recouvrent ainsi leur liberté et gardent leur argent.

C’est qu’en fait le silence des témoins entrave terriblement l’action de la justice, ainsi que le prouve un procès récent et, célèbre dans lequel la correspondance de l’épouse coupable ne laissait rien à désirer. Le mari avait surpris les lettres à elle adressées. Femme légère, mais soigneuse et rangée, elle gardait tout, et ce tout était complet. Jour par jour, année par année, on y pouvait suivre ses intrigues, ses aventures de toute sorte. La haute position