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LES LETTRES D'AMOUR
DE
LA RELIGIEUSE PORTUGAISE

Le charme véritable des créatures autrefois vivantes que nous nous plaisons à évoquer aux heures de rêverie est de laisser toujours quelque chose à deviner d’elles-mêmes et de ne jamais livrer tout entier de secret de leur âme ; car c’est à ce prix qu’elles éveillent en nous le sentiment du mystère sans lequel il n’est pas de haute poésie.

Ces ombres indécises et voilées ont encore le privilège d’être, en quelque sorte, réservées à l’imagination des esprits délicats et d’échapper aux atteintes du vulgaire. Il n’est pas donné à tout le monde de les comprendre, de les animer et de les aimer. Un certain effort est nécessaire pour dégager des apparences sensibles, qu’elles revêtirent jadis, l’idéal qui les transforme et les élève, qui, les laissant inconnaissables et toujours humaines, les fait plus lumineuses, plus belles et plus adorables. Elles nous charment enfin parce qu’il n’en est pas qui se prêtent mieux à nos songes ni qui incorporent avec plus de complaisance nos sentimens et nos pensées. Nous croyons saisir entre elles et nous quantité de rapports fins, subtils, déliés ; un murmure inarticulé de leur voix, une confidence ; muette de leur âme suffit parfois à nous ouvrir subitement quelque perspective lointaine, quelque large horizon sur notre propre nature. Nous leur communiquons alors notre émotion personnelle, le meilleur de nous-mêmes, le plus vif de notre pensée et le plus chaud de notre flamme. Et ces images qu’un dernier souffle de vie animale encore à nos yeux deviennent ainsi la représentation idéale de nos conceptions les plus intimes.

Ce n’est donc pas sans une crainte pieuse que l’on voit