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D’autres considérations encore s’opposent à ce que le marquis de Chamilly ait fait traduire et imprimer en 1668 (le privilège, de la première édition est du 28 octobre) la correspondance qu’il aurait rapportée ou reçue de Portugal. Comment y eût-il eu l’esprit ou en eût-il trouvé le loisir ? A peine débarqué en France, dès le 11 février 1668, il est aux côtés de son frère devant Dôle, et prend part à cette brillante campagne qui en quinze jours conquit la Franche-Comté à Louis XIV. Aussitôt après (mars 1668), le voici en Flandre où il guerroie contre les Espagnols. La nouvelle de la ratification de la paix d’Aix-la-Chapelle est à peine arrivée à l’armée (juin 1668), qu’il se rend à Marseille pour organiser l’expédition que le duc de La Feuillade va conduire à Candie, — et dans les premiers jours de septembre il a déjà pris la mer.

A un autre point de vue, on peut alléguer aussi que, si le maréchal de Chamilly avait été homme à livrer à la publicité les lettres intimes d’une femme, il n’aurait pas différé jusqu’à l’âge de cinquante-quatre ans, il n’aurait pas attendu que ses services militaires, sa fortune, son mariage, lui eussent acquis une grande situation de faveur et de considération à la cour, pour révéler qu’il avait été dans sa jeunesse le héros d’une aventure galante et pour en tirer vanité. S’il fallait enfin le défendre de n’avoir pas protesté contre l’abus qu’on avait (ait de son nom, on serait en droit de soutenir que, puisque les Lettres avaient été attribuées à un certain « chevalier de C… » il ne crut pas sans doute devoir se reconnaître sous un titre qu’il n’avait jamais porté, ou plutôt qu’il ne daigna pas réfuter une assertion à laquelle toute sa vie opposait un éclatant démenti.

Dans un ordre de recherches où la certitude absolue n’est presque jamais atteinte, ces diverses considérations paraîtront suffisamment décisives. Elles s’accordent à absoudre le maréchal de Chamilly du seul reproche qui ait atteint son honneur, et à reléguer l’opinion qui le rendait responsable de la divulgation d’une correspondance amoureuse au nombre de « ces injustices qui, suivant l’expression de M. Renan, forment trop souvent le fond de ce que nous croyons savoir du passé. »

Encouragée par ce succès, la critique ne s’y est pas arrêtée. La personne de Chamilly mise hors du débat, c’est celle de la Religieuse qui a été appelée en cause ; ses lettres ont été déclarées apocryphes, et on a nié qu’elle-même ait jamais existé.

A vrai dire, l’idée n’était pas nouvelle. Rousseau l’avait déjà exprimée : « Les femmes, écrivait-il dans la Lettre à d’Alembert