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constituante. Puis l’assemblée constituante aurait discuté sur l’appel au peuple, sur le plébiscite, sur le référendum, sur la suppression du sénat et de la présidence de la république, sur l’empire et sur la monarchie. Pendant ce temps, les partis auraient joué chaque jour la paix publique dans leurs luttes et dans leurs dissensions. C’est tout cela que la raison populaire a répudié. La révision a été vaincue et parce qu’elle méconnaissait le vœu de stabilité qui est dans la masse nationale, et parce qu’elle n’offrait à la France qu’une série d’aventures et d’expériences meurtrières. La leçon est pour ceux qui ont cru pouvoir rallier tous les malaises par ce mot vague de révision et pour ceux qui ont préparé cette dangereuse crise en laissant altérer, en altérant eux-mêmes tous les ressorts constitutionnels, toutes les lois parlementaires, toutes les garanties d’une liberté réglée.

Ce qui a été vaincu aussi aux élections, c’est certainement cet amalgame qui s’est déguisé sous le nom de boulangisme et où les conservateurs se sont laissé donner un rôle qui n’était ni dans leurs traditions ni dans leur intérêt. On a beau se perdre en explications et subtiliser sur les alliances qui ne sont pas des alliances ou sur l’action parallèle. Le fait est que les tacticiens qui ont imaginé la politique des mouvemens parallèles peuvent se flatter d’être d’habiles conseillers et que les conservateurs qui les ont écoutés se sont laissé entraîner dans une triste campagne, dans une aventure au moins malheureuse. Qu’avaient à faire les conservateurs d’aller se mettre dans cette compagnie, d’accepter ne fût-ce qu’un semblant d’alliance avec des hommes dont ils sont séparés par leur passé, comme par leurs idées, comme par leurs espérances ? À ne considérer que l’intérêt vulgaire et immédiat d’un succès électoral, que pouvaient-ils gagner et qu’ont-ils gagné ? Ils ont aidé peut-être au succès de quelques élections boulangistes à Paris, à Bordeaux, — ils n’ont pas même reçu le prix de leur concours. Ils ont eu l’amertume, la déception de voir quelques-uns de leurs candidats les plus sympathiques échouer, victimes d’une perfide équivoque. — Ce n’était là, dira-t-on, qu’une alliance de guerre momentanée et toutes négative. Les conservateurs pleins d’illusions, qui se paient de ces subterfuges, ne voient pas qu’ils se sont exposés à donner une apparence de force au boulangisme, et si cette alliance à laquelle ils se sont prêtés avait plus complètement réussi, ils étaient bien sûrs de leur affaire : ils se seraient trouvés le lendemain avoir travaillé à l’avènement plus ou moins prochain d’une dictature à laquelle ils n’auraient pu opposer désormais qu’une résistance tardive. Ils auraient peut-être obtenu quelques promesses, quelques paroles, quelques atténuations : ils auraient, sans le vouloir, sacrifié tout le reste, — et l’honneur de leur cause et la dignité des institutions libres. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les conservateurs ont risqué d’être les dupes d’une faute sans compensation et sans profit. Il ne faut rien exagérer sans doute. C’est