Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Angleterre. Ce n’est point sans doute qu’un succès des libéraux dans quelques scrutins partiels modifie sensiblement la majorité dont le ministère dispose encore ; il ne peut donner que quelques voix de plus à l’opposition, sans changer la proportion réelle des partis. C’est du moins une preuve que le cabinet de lord Salisbury n’a pas réussi autant qu’il le croit et qu’il le dit, que la politique libérale représentée par M. Gladstone garde son influence dans le pays, que l’opinion reste partagée. Qu’en serait-il le jour où il y aurait des élections générales ? Ceci est une affaire d’avenir ; le résultat des évolutions d’opinion qui pourraient s’accomplir est encore inconnu et à échéance assez lointaine. Il y a un autre résultat plus prochain, tout au moins passible, que les récentes élections partielles pourraient bien hâter, et c’est ici que les derniers discours de lord Hartington, de M. Chamberlain pourraient avoir des conséquences pour la direction de la politique anglaise, pour la composition même du gouvernement de la reine. Jusqu’ici, le ministère de lord Salisbury n’a vécu à peu près que par l’appui des unionistes ou libéraux dissidens dans les affaires d’Irlande, appui qu’il n’a pu s’assurer qu’en faisant à son tour un certain nombre de concessions libérales. C’était une alliance temporaire, acceptée, comme on l’a dit, dans l’intérêt de l’intégrité britannique menacée par la politique irlandaise de M. Gladstone. Il s’agit aujourd’hui de savoir si cette alliance, de temporaire et accidentelle qu’elle a été jusqu’ici, deviendra permanente et complète. À l’heure qu’il est, dans leurs derniers discours, lord Hartington et M. Chamberlain viennent de parler eu hommes décidés à rompre définitivement avec M. Gladstone. M. Chamberlain, qui était naguère encore un des chefs les plus avancés du libéralisme, presque un radical, M. Chamberlain, particulièrement, a mis, à déclarer la rupture, une sorte d’âpreté, en proposant du même coup la fusion des libéraux dissidens et des conservateurs dans un parti nouveau qu’il appelle le « parti national. »

Naturellement, la conséquence serait de modifier singulièrement la politique conservatrice, et aussi de faire du ministère reconstitué une image de cette situation nouvelle. C’est assurément une idée hardie et qui, habilement réalisée, pourrait être féconde pour l’Angleterre. Elle a déjà trouvé des appuis et des défenseurs. Ce que propose M. Chamberlain n’est après tout que la consécration ou la coordination de ce qui existe en fait, puisque c’est cette alliance des conservateurs et des libéraux unionistes qui gouverne l’Angleterre depuis quelques années. Ce n’est pas moins une tentative aussi compliquée que délicate qui risque fort de se heurter dans la pratique contre les résistances des partis organisés. La coalition d’aujourd’hui, on l’accepte comme un expédient nécessaire pour la défense de ce qu’on appelle l’unité de l’empire britannique. La fusion, telle que l’entend M. Chamberlain, deviendra-t-elle une réalité ? La moitié du programme risque de rester en