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nette, la draperie souple et serrée des figurines de Tanagra et mêlent, dans une fusion charmante, la pudeur intelligente des filles d’Albion à l’élégance attique. Il n’y a pas de pédantisme ou de réalisme qui tienne, c’est là une délicieuse fantaisie archéologique, un art particulier et délicat qui ne s’adresse point sans doute au gros public, mais qui n’en a, pour cela, ni moins de charme, ni moins d’intérêt. Un peu plus loin, M. Alma-Tadema nous montre une jeune Gréco-Anglaise assise sur un banc en marbre (le marbre est une matière dont le peintre tire des effets surprenans), devant la mer bleue, se faisant de la main un abat-jour pour apercevoir la barque qui amène le bien-aimé, et cette petite scène est encore ravissante par le naturel de la pose, la grâce de l’ajustement, l’éclat du marbre, des fleurs, de l’eau, du ciel, la transparence sereine de l’air. Les Ménades, plus classiques, bien anglaises pourtant, de M. John Collier, semblent banales à côté de ces évocations fraîches et gracieuses ; et, si l’on songe au parti que M. Alma-Tadema a su tirer de ses premiers modèles en ce genre, Ingres et M. Gérôme on se prend à regretter que M. Calderon, l’auteur agréable d’une Aphrodite couchée sur les flots, n’ait pas pris conseil à la même école ; il eût certainement doté sa nageuse blonde de formes moins abondantes, mais plus juvéniles.

MM. Burne Jones, Watts, Strudwick, Walter Crane, représentent le dilettantisme anglais s’inspirant de la renaissance comme chez MM. Leighton et Alma-Tadema il s’inspire de l’antiquité. On ne saurait tous les appeler des préraphaélites, car si M. Strudwick, dans sa Circé, s’en tient à la stricte imitation de Mantegna, et M. Walter Crane, dans sa Belle dame sans merci, à celle d’autres primitifs M. Watts, dans ses allégories poétiques, souvent peu intelligibles se livre à des combinaisons savantes de formes contournées et de colorations vaporeuses qui procèdent des maniéristes du XVIe siècle bien plus que de leurs prédécesseurs. Le plus intéressant de ce groupe distingué, mais un peu trop porté à confondre la littérature avec la peinture, est M. Burne Jones. Il a traduit, dans son Roi Cophetua, la ballade de Tennyson, The Beggar Maid, avec une exactitude scrupuleuse, et avec une puissance extraordinaire : « Elle se tenait les bras croisés sur sa poitrine ; — elle était plus belle qu’on ne peut dire ; elle vint, pieds nus, la mendiante, — devant le roi Cophetua. — En robe et en couronne, le roi descendit — pour la rencontrer et la saluer sur sa route. — « Ce n’est point étonnant, disaient les lords, — elle est plus belle que le jour. » — Comme brillé la lune en un ciel nuageux ; — elle, dans sa pauvre parure, apparaissait : — l’un louait ses chevilles, l’autre ses yeux, — l’autre sa noire chevelure et sa mine aimable. — Un si doux visage, une grâce