précis et convaincus. Leur manière âpre et brutale d’analyser les figures plébéiennes est curieuse à comparer avec la manière raffinée jusqu’à la langueur, qui donne aux études mondaines de M. Khnopff, Mlle Marguerite K.., et Un Soir à Fosset, le charme délicat et maladif d’un art distingué, mais tout prêt à s’évanouir.
Il va sans dire que, dans les paysages, surtout s’ils sont peuplés d’animaux, les Belges continuent à employer cette pâte, grasse et lourde, qui souvent prend l’éclat et parfois la dureté de l’émail. Des bestiaux pacifiques et sommeillans de MM. Vervée, Stobbaerts et de Mlle Collart, c’est à qui montrera la musculature la plus ferme, l’allure la plus solide, le poil le plus luisant. L’Embouchure de l’Escaut par M. Vervée caractérise bien cet amour de la force tranquille. Dans un pâturage plantureux, à quelques pas d’une vaste nappe d’eau jaunâtre, troublée, opaque, qui se traîne avec lenteur, plusieurs vaches sont couchées. Allongées pesamment, les yeux troubles, il semble qu’elles soient écrasées par l’orage qui s’approche et qui fait tournoyer, au-dessus d’elles, un cercle noir de nuages massifs, entraînant, dans leur mouvement en spirale, un essaim d’oiseaux effarés. L’air, les eaux, le ciel, les bêtes, tout est lourd, accablé, dans cette étrange toile. Quant à M. Stobbaerts, un coloriste inégal, mais parfois d’une intensité audacieuse et rare, il pousse l’enthousiasme de la solidité jusqu’à changer ses vaches en de véritables statues de jaspe et d’agate. Ses Intérieurs d’étable ont plutôt l’aspect de mosaïques en pierres dures que de toiles colorées. C’est l’excès de la consistance ; chez nos impressionnistes, au contraire, nous avons l’excès de l’inconsistance. M. Stobbaerts est plus près qu’eux, de Rubens et de Cuyp. Sa Sortie de l’étable mérite bien, en effet, d’appartenir au musée d’Anvers.
Parmi les paysagistes, il y a scission ; les uns tiennent pour la clarté lumineuse, la précision des objets, la minutie des détails, conformément aux antiques traditions ; les autres penchent vers la facture sommaire ou compliquée, pâteuse et brouillée, pourvu qu’elle soit large et expressive et qu’elle corresponde à une émotion vive, d’ordinaire grave et triste. Ces derniers se rattachent moins à la France qu’à l’école moderne de Hollande. Ils comprennent, avec un charme élevé, la mélancolie de leur climat changeant et pluvieux. Tels sont M. Denduyts, l’auteur du Dégel et d’un Hiver particulièrement saisissans, M. Verstraete avec son Soir d’été et son Soir de novembre, M. Vanderecht avec sa Neige et son Moulin de Wesembeek. Parfois aussi ils appliquent cette liberté de brosse au rendu d’effets plus lumineux. M. Courtens exprime, avec une ardeur puissante, la pesanteur des ciels d’été sur les toitures en briques des maisons peintes et les feuillages affaissés des arbres