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le consolider. D’autre part, l’un des anciens partis qui ont divisé la France considère ce principe comme un ennemi qu’il faut abattre à tout prix, pour lui substituer une idée philosophique. Quand les hommes de ce parti désavouent l’intention qu’on leur prête, quand ils prétendent s’en tenir à des règlemens de police, c’est leur faire injure que de les prendre au mot ; de même qu’on est injuste pour eux en ne voyant dans leurs actes qu’un vulgaire esprit de tracasserie. Leur entreprise avait sa grandeur. Changer l’âme d’un peuple, en remplaçant dans chaque hameau l’église par une maison d’école, ce n’est pas une conception étroite. Mais l’expérience l’a condamnée ; le pays se refuse à la substitution projetée. Comme le pays ne peut pas rester dans le vide, comme une législation purement compressive du principe moral est un non-sens et une chimère, si elle ne parvient pas à faire triompher un principe opposé, les compromis ne sont pas viables. Ils placent l’État dans une posture humiliante, tant elle est bizarre ; tous les discours qu’il tenait naguère encore au clergé peuvent se ramener à cette drôlerie : « Je vous institue et je vous paie pour enseigner certaines doctrines, reconnues d’utilité publique ; mais comme j’ai horreur de ces doctrines, comme j’entends travailler contre elles, je vous casse aux gages si vous soufflez mot dans les momens graves, ceux-là mêmes où, pour bien gagner mon argent, vous devriez rappeler à vos ouailles que la doctrine comporte certains devoirs de conduite. » — L’église enseignant un talent d’agrément, comme le piano, dont on ne doit jouer qu’aux heures de loisir ; la source même de l’éducation morale mesurée à l’enfant comme on dose un poison, quand on est forcé de l’administrer à un malade ; ce sont là des conditions trop artificielles pour être durables. Proscrire ou encourager, il n’y a pas de milieu pour la puissance publique, quand elle se trouve en face du principe sur lequel est fondée toute la théorie de la vie.

Est-ce à dire qu’il faille prévoir un retour offensif de je ne sais quelle théocratie, tyrannique pour les opinions dissidentes ? L’énoncé d’une pareille crainte fait sourire, quand on regarde la société contemporaine. Il est permis de croire que beaucoup de philosophes indépendans, mais soucieux d’accroître la force nationale, se mettraient facilement d’accord sur les conditions du problème, si on les définissait de la façon suivante.

En matière d’éducation, il y a deux axiomes consentis par tous : l’enfant doit être laissé en dehors des controverses de l’homme fait ; l’enfant doit recevoir un principe moral approprié à son intelligence, très simple et très fort, avec une sanction très claire. Ces axiomes dictent son devoir à l’État, qui est chez nous le principal éducateur. L’État, dira-t-on, n’est pas juge des doctrines religieuses.