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et le crépitement des fusils ; quand tout enfin leur révèle la poésie entraînante du combat. Mais est-ce bien là le point essentiel ? Est-ce dans la répétition purement mécanique d’une scène jamais rénovée que se formera le puissant instrument capable de ramener la victoire sous nos drapeaux ? Cette double préparation encore ne suffit pas. Les forces physiques et morales n’auront toute leur valeur et tout leur effet qu’à la condition d’être mises en jeu et dirigées par une -force intellectuelle et supérieure ; en d’autres termes, à la vigueur et au courage doit s’ajouter l’habileté du commandement. — Au-dessus des muscles et du cœur est le cerveau.

Or, si l’entraînement et la cohésion sont des résultantes quasi obligées, le progrès intellectuel, lui, ne peut jaillir que d’un travail incessant et d’un effort continu. Constamment, il doit adapter la stratégie au caractère des guerres futures, et maintenir la tactique au niveau des progrès sans cesse renouvelés. Car, si la stratégie amène les ennemis en bonne position pour livrer bataille, la tactique seule utilise les forces amassées, tranche le nœud gordien habilement noué. L’accord de ces deux facteurs est indispensable au succès ; les plus hautes combinaisons théoriques resteraient sans effet, si le développement régulier des opérations, si la précision des mouvemens ne leur apportaient une sanction matérielle. De nos jours, la tactique acquiert une influence d’autant plus prépondérante que les guerres, accomplies à coups de chiffres et non plus avec les jambes des soldats, renferment pour ainsi dire la stratégie dans cette idée simple d’une accumulation rapide. En 1870, cette puissance de concentration, cette justesse et cette sûreté de manœuvre furent le procédé caractéristique de nos adversaires. Grâce à elles, les armées allemandes purent s’avancer régulièrement, méthodiquement, à la conquête de notre territoire, sans qu’une grande pensée stratégique eût présidé à cette sorte de poussée brutale. Il faut tenir compte d’enseignemens aussi clairs, envisager nettement l’avenir, et bien nous persuader que lorsque 50,000 hommes évolueront avec la même souplesse et la même précision que pouvait le faire, autrefois, une simple brigade, alors seulement l’armée moderne sera à la hauteur de sa mission. Quand on a compris cela, on découvre tout de suite quel est le rôle et quel aussi le point faible de nos grandes manœuvres actuelles. Ce rôle, c’est l’éducation tactique du haut commandement ; ce point faible, c’est qu’on n’exécute pas sur une assez grande échelle les manœuvres de masses.

La tactique des masses, nous l’avons déjà dit, est un résultat direct et inéluctable de la guerre de masses. C’est un ordre d’idées nouveau, mais essentiel ; il serait peu prévoyant d’en méconnaître