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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/405

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reporters et les caricaturistes lui avaient fabriqué, de toutes pièces, une sorte de légende moitié effrayante, moitié grotesque. Birmingham et son Joseph étaient l’objet de lazzi sans fin et surtout sans sel. Athée, républicain et partageux, c’est sous ce triple aspect qu’on le montrait aux bourgeois conservateurs. Je ne serais pas étonné d’apprendre que, dans les nurseries aristocratiques, les sous-nourrices de quelque jeune lord récalcitrant lui aient dit plus d’une fois : « Si votre Seigneurie continue, je la donnerai à Chamberlain ! »

Vers ce temps, — c’était, pour préciser, en novembre 187â, — le prince de Galles annonça sa visite à Birmingham. Qu’allait faire le prétendu leader républicain ? Former au nez du royal visiteur les « portes » de Birmingham ? Mais Birmingham, l’heureuse ville, n’a point de portes. Se retirer sous sa tente et protester par son absence ? On bien organiser un charivari dont il serait le chef d’orchestre et, au passage du Présomptif, enfoncer son chapeau sur ses yeux, avec un : « vive l’Irlande, monsieur ! » qui eût agréablement rappelé d’autres temps et d’autres lieux ? Le public s’attendait à quelque solennelle incongruité.

On dira du prince de Galles tout ce qu’on voudra, on ne peut méconnaître un trait charmant de son caractère : la crânerie avec laquelle il marche droit à l’ennemi, c’est-à-dire à l’homme politique, excentrique et réfractaire, qu’il veut apprivoiser. Dans ces momens-là il est vraiment prince. Beaucoup de tact caché sous beaucoup d’aisance. Son abord est si simple ! Sa poignée de main si naturelle, si chaude, si engageante ! Le regard de son œil bleu indique une si franche et si cordiale curiosité ! Les supériorités intellectuelles l’attirent ; auprès d’elles, son air amusé et charmé suffirait à inspirer, à mettre en verve : notre Gambetta en a su quelque chose, et, avant lui, Joseph Chamberlain.

De son côté, le maire de Birmingham ne montra ni embarras, ni raideur. Une chose lui rendit son rôle facile, c’est qu’en Angleterre, pays d’aristocratie, on se trouble moins, on s’incline moins bas devant les grands qu’en France, pays démocratique. M. Chamberlain reçut son hôte avec une parfaite convenance, et l’on m’a assuré que le prince eut conscience, ce jour-là, d’avoir serré la main de son futur premier ministre.


II

Il paraîtra tout simple au lecteur français que les dignités municipales acheminent un homme vers les honneurs parlementaires. Dans notre hiérarchie, en forme pyramidale, un degré mène à autre. Mais il n’en va pas ainsi chez nos voisins. Non seulement