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peut se cuire et se manger. Mais il cherche aussi à deviner ce qui se passe dans les petites maisons de bois et surtout dans l’âme des colons qui les habitent pendant la nuit froide de ce long hiver. Le charme, à la fois sauvage et solennel, de ces solitudes, placées hors des voies de la civilisation, le silence de ces forêts primitives, si étrange et si doux à une oreille encore remplie des rumeurs de Londres et de Birmingham, éveillent en lui des impressions nouvelles, et il les rend, bien qu’avec la sécheresse d’une plume un peu novice.

Il a fait beaucoup de voyages semblables, toujours en compagnie de M. Jesse Collings. On les a vus en Allemagne, en Suisse, en Espagne. Un jour, à Malaga, voulant se rendre par mer à Gibraltar, ils prirent passage à bord d’un petit caboteur. Le capitaine avait cédé son lit à M. Collings : « Quant à ce garçon, dit-il en désignant le grand orateur, il s’arrangera du sofa. » M. Chamberlain « s’arrangea du sofa, » comme d’un hommage rendu à ce que Justin Mac-Carthy appelle son « éternelle jeunesse. »

Le train du samedi emportait chaque semaine M. Chamberlain qui allait se reposer de ses fatigues parlementaires dans le paisible cercle de la famille. Nous pouvons le suivre dans sa belle et opulente résidence, dans ce cabinet de chêne et de cuir vert, où les biographes et les reporters s’efforcent, sans succès, de trouver quelque chose à décrire. Les débats parlementaires de Hansard remplissent la bibliothèque, avec d’innombrables volumes de références, de politique, d’histoire, d’économie sociale. Beaucoup de romans français, mais ne vous hâtez pas de triompher : la plupart ne sont pas coupés.

M. Chamberlain a deux passions, les enfans et les fleurs. Ce dernier goût, poussé très loin, lui a valu beaucoup de moqueries et beaucoup d’attaques. Dans un pamphlet de M. Marriott, un collègue et un ennemi, il est dit que le prix consacré à l’entretien de ses serres « ferait vivre bien des familles pauvres. » M. Lucy raconte, à ce sujet, l’anecdote suivante. C’était à Paris, sur le quai aux fleurs. M. Chamberlain aperçoit un spécimen rare d’orchidée. « Combien ? » — « Cinq cents francs, monsieur : c’est le seul de cette espèce qui existe en France. » — « voici les cinq cents francs. » M. Chamberlain prend la fleur, la déchire, en foule aux pieds les débris et s’écrie : « Je l’ai, dans ma collection, mais je ne veux pas qu’un autre que moi, un Français, en possède une semblable ! »

Si l’histoire est vraie, Chamberlain le collectionneur d’orchidées est un homme différent de Chamberlain le démocrate. L’un déteste la France et l’autre l’aime ; l’un veut répandre partout la vérité et le bien-être, et l’autre veut monopoliser les belles choses ; l’un est