d’étouffer les bonnes raisons sous les mauvaises, de noyer une goutte de bon sens dans un torrent de sophismes. Jamais une grande pensée, une émotion généreuse ne traverserait cette atmosphère, raréfiée et appauvrie, des intérêts chétifs et des passions naines. Le public, dont l’encouragement et le contrôle sont si nécessaires, se dégoûterait de suivre ces arides débats et cesserait de voir clair dans ses affaires. Comme les actionnaires de certaines compagnies, il apprendrait que tout va mal, le matin même de la catastrophe, juste à temps pour assister à sa ruine.
M. Chamberlain, dans ce grand discours, aboutissait à cette conclusion pratique : il fallait remanier les lois relatives à l’assurance maritime de telle sorte qu’un naufrage ne pût jamais être un gain pour le propriétaire, et il fallait étendre aux armateurs les stipulations de la loi sur la responsabilité des patrons. On aura peine à croire et on a honte d’écrire que ces conclusions, si fortement motivées, ne furent pas agréées du parlement. Il se trouva une majorité d’honnêtes gens pour couvrir les agissemens de quelques coquins. Sentant le nombre contre lui, M. Chamberlain dut retirer la loi. On enterra la question décemment en la confiant à une commission parlementaire, chargée de faire pousser un rapport sur sa tombe au printemps suivant. Les « naufrageurs » continuent à tenir un rang distingué dans la société anglaise. J’ai pu suivre la carrière de l’un d’eux, que M. Chamberlain a nommé en toutes lettres. C’est un homme né sous une bonne étoile : il a, en peu d’années, perdu onze bateaux sur douze. Sa fortune est faite de ces ruines et de ces deuils. On le salue, on lui serre la main, on vante sa charité, et la petite ville où il habite reçoit ses dons avec une abjecte reconnaissance.
Après ce revers, M. Chamberlain avait voulu quitter le cabinet ; le premier ministre réussit à le garder auprès de lui. Mais le leader radical, plein de déférence pour son chef et de ménagemens pour ses collègues, à la table du conseil et dans l’enceinte parlementaire, donnait à sa pensée un libre essor lorsqu’il se retrouvait devant les électeurs. Sa parole, autrefois agressive et froidement violente, presque haineuse, avait pris de l’ampleur et de la sérénité ; mais ses idées, à part le progrès qu’apportent la maturité de l’âge et l’expérience du pouvoir, n’étaient pas sensiblement différentes de celles que soutenait le jeune Chamberlain dans le club d’Edgbaston.
Entre le parti tory qui représentait le principe monarchique et le parti whig qui personnifiait l’Angleterre aristocratique, quel était donc le défenseur des intérêts du peuple, si ce n’est le parti radical ? « La politique était la science du bonheur social, comme