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conséquent, quoiqu’ils soient exténués par suite des privations et des fatigues de la route, on les conduit immédiatement au marché. S’il y a dans ce bétail à vendre des hommes, il y a aussi beaucoup de jeunes négresses, et des enfans âgés tout au plus de six ou sept ans. La société antiesclavagiste de Londres a bien écrit au sultan du Maroc pour lui dire que, si l’esclavage était reconnu par Mahomet, il ne l’était que pour les captifs pris dans la guerre et que le prophète enjoint strictement de bien traiter tous les esclaves, de même qu’il recommande comme un acte spécialement agréable au ciel, celui de leur rendre la liberté. Le Coran n’approuve pas non plus la séparation du mari d’avec la femme ou des enfans d’avec leurs parens, comme cela se fait ouvertement dans les marchés du Maroc, et enfin, que la mutilation des enfans pour les harems, telle qu’elle se pratique d’une manière si fréquente dans les domaines de Sa Hautesse, est un crime contre Dieu et la nature humaine et que le Coran ne peut justifier. La majesté chérifienne répondit que les Maures traitaient les esclaves différemment des autres peuples, et que l’institution de l’esclavage telle qu’elle était au Maroc n’avait besoin ni de réforme, ni de changement. Le Blue book nous apprend que dans ce même empire du Maroc, à Messfoua, se trouve un vaste établissement destiné à la préparation des eunuques pour le sérail de cette majesté. « J’y vis, dit le correspondant du Blue book, une grande quantité d’enfans nègres, dont la plupart avaient l’air extrêmement malades, et le soir, je demandai aux Maures qui étaient venus me Voir dans ma tente, la raison de leur état de souffrance, si on devait l’attribuer au climat ou à l’eau ; mais je ne pus obtenir aucune réponse Quand ils se furent retirés, je fus informé confidentiellement que c’était parce que là étaient préparés les eunuques pour le sultan et que, si le caïd apprenait que ce secret avait été divulgué, la vie du révélateur serait sacrifiée. Je fus aussi informé que sur trente de ces enfans opérés, il en meurt au moins vingt-huit. »

Dans la Tripolitaine le commerce des noirs n’est ni public, ni même officiel ; il n’est pas, en un mot, autorisé, mais ce qui se passe là n’en est pas moins odieux. C’est encore le Soudan qui fournit des esclaves, et, d’après le consul Wood, à Bengazi et dans ses alentours seulement, il en était venu plus de vingt mille en quatre ans. Dans cette proportion on arrive à un total pour la Tripolitaine de cent mille esclaves. « Aux yeux des musulmans, dit le consul Nachtigal, le commerce des noirs n’a pas cessé d’être légitime, et toutes les fois qu’un chef de province peut le faire impunément, il ferme les yeux sur ce chapitre, favorisant même les contraventions pour peu que son intérêt le lui commande. Les