D’Argenson avait donc là un moyen tout trouvé d’avance pour entrer en conversation avec le roi de Sardaigne ; aussi (quoi qu’il en eût dit) dès le milieu de l’été, il avait déjà cherché à sonder le terrain par l’intermédiaire d’une dame de compagnie de la princesse. — « La France et la Sardaigne, disait-il, dans une lettre qui ne tarda pas à passer sous les yeux du comte de Montgardin, ne pourraient-elles pas s’entendre sans intermédiaire ? Nous commencerions entre nous la symphonie ; si les instrumens ne pouvaient s’accorder, on jetterait la musique au feu et il n’en serait plus question. » L’ouverture, sans être écartée, fut reçue avec froideur, le roi faisant répondre qu’en aucun cas il ne pouvait rien conclure sans le concours de ses alliés d’Autriche et d’Angleterre. C’était le prendre de haut, mais la déroute de Bassignano fît promptement baisser le ton, et ce fut le ministre des affaires étrangères de Piémont, Gorzegue, successeur de d’Ormea, qui engagea Montgardin à frapper lui-même à la porte restée entr’ouverte. Montgardin fit demander qu’on lui désignât une personne de confiance qu’il pût entretenir en liberté et en secret.
D’Argenson fit choix pour cette mission confidentielle du résident de France à Genève, Champeaux, alors de passage à Paris, mais qui, vivant habituellement dans le voisinage de la Savoie, pouvait avoir plus d’une affaire à traiter avec l’intendant de la famille de Carignan. Les deux négociateurs officieux se rencontrèrent en octobre 1745, dans le jardin des Capucins de la rue Saint-Jacques.
Dans les dispositions pacifiques qui paraissaient communes, et sous la pression de telles circonstances, s’il ne se fût agi que d’un arrangement diplomatique ordinaire à conclure entre les deux cabinets de Versailles et de Turin seulement, suivi ou précédé d’un armistice local, les choses auraient pu marcher assez vite, et la négociation tenue, pour ainsi dire, terre à terre, aurait avancé sans rencontrer d’obstacle. Mais l’esprit de d’Argenson, qui tendait au grand, ne s’enfermait pas dans des vues si étroites. Il ne se contentait nullement ni d’une nouvelle délimitation de frontières, ni d’un nouveau partage (pareil à ceux qui avaient été faits à tant de reprises depuis deux siècles) des provinces septentrionales de l’Italie. Ce qu’il méditait, c’était la reconstitution de la Péninsule tout entière, sur des bases rationnelles et d’après un type idéal. C’est ce qu’il définit lui-même dans ses mémoires en ces termes : Former une république et association éternelle des puissances italiques, comme il y en a une germanique, une batavique et une helvétique.
Le point capital de cette conception était de repousser pour