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de Condorcet, un instant voté par la Convention, repris par Daunou et Roger Martin sous le Directoire, est bien l’expression de ce que les théoriciens de la Révolution conçurent comme le type de l’enseignement supérieur. Ce que firent les hommes d’action, au hasard des circonstances, et sous la pression des événemens, fut juste le contraire de cet idéal. Les anciens officiers du Jardin du Roi avaient, dès le début de la Constituante, préparé une refonte révolutionnaire de cet établissement. On adopta ce projet, et le Jardin du Roi devint le Muséum, l’école spéciale des sciences de la nature. Le Comité de Salut public voyait avec terreur la pénurie des ingénieurs militaires ; il improvisa l’École polytechnique. On criait de toutes parts contre l’incapacité des médecins et les méfaits des charlatans ; Fourcroy fit décréter les Écoles de santé. Le succès de ces divers établissemens, la ruine successive de la Gironde et de la Montagne, qui avaient l’une après l’autre épousé et soutenu les idées de Condorcet, permirent aux partisans des écoles spéciales d’enlever à la volée, à l’avant-dernier jour de la Convention, une loi de principe qui faisait de ces Écoles le mode général de tout le haut enseignement. L’Institut de France, créé en même temps, devait pourvoir à l’avancement des sciences.

Le Consulat continua l’œuvre de la Convention, en créant, suivant l’esprit de la loi qu’il avait reçue d’elle, de nouvelles écoles spéciales pour le droit et pour la pharmacie. Il fit œuvre propre en soumettant toutes les écoles spéciales à une organisation qui devait entraver et qui entrave encore nos facultés. Pour les philosophes de la Révolution, la science était le but de l’enseignement supérieur ; pour les administrateurs du consulat, ce fut la poursuite des grades professionnels. On avait été conduit, par mesure de sécurité sociale, à réglementer des professions, comme la médecine et le barreau, où la liberté n’avait produit que des abus et des maux. En posant des conditions à l’exercice de ces professions, on devait au public des garanties. On les chercha, non dans le savoir en lui-même, mais dans la constatation officielle du savoir. On rétablit donc les anciens degrés, et on en fit des grades d’état, sans souci de savoir si la poursuite des parchemins ne nuirait pas à la recherche de la science et n’abaisserait pas les hautes études en modifiant leur destination.

L’Empire créa l’Université ; mais comme il la créait pour être une fabrique d’esprit public à son usage, il n’eut garde d’y faire une place sérieuse à la science, qui est un foyer d’esprit de liberté. Sans doute il devait y avoir dans l’Université impériale, une et indivisible comme l’empire, un compartiment spécial pour l’enseignement supérieur, et dans ce compartiment jusqu’à cinq ordres