Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

père, qui voulait en faire un médecin, l’envoya, en 1552, étudier à Montpellier. Il partit sur un cheval qu’on lui avait acheté, avec un fort léger bagage, deux chemises et quelques mouchoirs, enveloppés dans de la toile cirée et quatre couronnes d’or cousues dans son pourpoint. Le voyage dura vingt jours et ne fut pas sans dangers. A Montpellier, Platter s’établit chez un pharmacien, maître Catalan. Il ne comprenait pas un mot de français, mais le latin était alors la langue de la science, et, dans une ville d’université, on était sûr de se faire entendre en s’en servant : « Catalan, dit Platter, me parlait latin à sa façon, c’est-à-dire mal ; et quand je lui répondais d’une manière un peu correcte, il en était émerveillé. » Voilà donc le jeune homme à son affaire ; il s’y met avec ardeur, « entendant deux ou trois cours le matin et autant l’après-midi, et comme l’usage veut que chaque studiosus se choisisse un patron, auprès duquel il puisse trouver conseil, il s’attache au docteur Saporta[1]. » Tout en travaillant à la médecine, Platter ne néglige pas les occasions de se divertir. Il célèbre la fête des Rois avec les Allemands, ses compatriotes, qui sont nombreux à l’université, ou chez un de ses maîtres, le professeur Rondelet. Pendant le carnaval, les riches bourgeois donnent des bals, où il se fait inviter. « Après le souper, on dansait aux flambeaux le branle, la gaillarde, la volte, le tire-chaîne. Ces assemblées se prolongeaient jusqu’à l’aube. » Aux jours gras, il se mêle à la bande joyeuse des jeunes gens qui courent la ville en se jetant des oranges. « Certain jour, dit-il, un gentilhomme de nos voisins me pria à un concert nocturne en l’honneur d’une demoiselle : c’est ce qu’on appelle une aubade. A minuit, nous étions devant la maison. Nous commençâmes par battre du tambourin, afin de réveiller les habitans du quartier ; puis les trompettes se firent entendre, ensuite les hautbois, après les hautbois les fifres, après les fifres les violes, enfin trois luths ; le tout dura bien trois quarts d’heure. On nous conduisit chez un pâtissier, où nous fûmes largement traités : nous bûmes du muscat, de l’hypocras, et la nuit se passa à festoyer. » Dans ces réunions galantes, Platter paraît avoir été fort apprécié. Il jouait fort bien du luth et son père lui avait envoyé deux belles peaux teintes en vert, dont il s’était fait un

  1. La famille des Saporta, qui a fourni des professeurs célèbres à l’école de Montpellier, était originaire de Lérida, en Espagne. Le plus ancien d’entre eux fut médecin de Charles VIII et vécut cent six ans. Son frère, qui fut médecin aussi, dépassa, dit-on, cent vingt ans. C’était prouver par leur exemple l’excellence de leur hygiène médicale. Jean Saporta, celui que Platter choisit pour patron, était un fort savant homme, mais un caractère intraitable. Il fut accusé « de s’être vengé par un soufflet » d’un étudiant qui lui adressait une réprimande. Ce fut une grande affaire.