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effet, qu’une malformation de l’oreille, c’est l’occasion qui fait le crime ; autant que le tempérament épileptique ou épileptoïde, c’est le vice de l’éducation ; et autant enfin ou bien davantage qu’un ressouvenir inconscient de l’ancienne animalité, ce sont les conseils, ce sont les exemples, ce sont aussi quelquefois les lois. Voilà ce qu’il faut qu’une société n’oublie point, — même quand au lieu d’être une société d’hommes, elle ne serait qu’une coalition d’intérêts ; — voilà ce qu’elle ne peut oublier sans transformer le droit de punir en un instrument de brutale vengeance ; et voilà ce qu’il faut savoir gré de nous rappeler à tous ceux qui, depuis une dizaine d’années, ayant essayé de démontrer qu’il n’y a pas de type criminel, y ont enfin réussi.

Là est l’originalité de la Philosophie pénale, de M. Tarde, et là tout son livre, en un certain sens. Il ne s’est point contenté, comme jusqu’ici la plupart des adversaires de M. Lombroso, de mesurer des crânes d’empoisonneurs, ou d’analyser « les sécrétions » des escrocs. Aux « expériences » du professeur de Turin, il ne s’est point contenté d’en opposer de mieux faites, moins étourdiment, plus scientifiquement conduites ; et en regard des statistiques italiennes, — les plus volumineuses qu’il y ait au monde, je crois, — il ne s’est point contenté de dresser, si je puis ainsi dire, des contre-statistiques françaises. Car on aurait peut-être ainsi fait voir que M. Lombroso s’était mépris sur les caractères du type criminel, on n’aurait pas démontré que le type criminel n’existait point ; et sans doute, en définissant mieux les conditions du problème, on aurait modifié, mais on n’aurait pas supprimé le problème, on ne l’aurait pas transposé.

Plus hardi et mieux inspiré, ce que M. Tarde s’est donc efforcé de prouver, c’est qu’il fallait substituer l’étude sociale à l’étude naturelle du crime, ou, comme il dit encore, la sociologie criminelle à l’anthropologie. Cela signifie que, même en admettant que le crime soit une dégénérescence ou une maladie, elle n’est point localisée dans une circonvolution du cerveau ; el que, fût-il un produit, comme le vitriol, on ne le pèse point cependant dans des balances. En d’autres termes encore, les méthodes ou les moyens de la science, les moyens de l’histoire naturelle et de l’anatomie, ceux mêmes de la physiologie ou de la pathologie sont encore et seront toujours trop grossiers pour pouvoir être appliqués utilement à l’étude du crime. L’apparition de l’homme dans la nature a été le commencement d’un nouvel ordre de choses ; et de quelque manière que les sociétés se soient formées, faisant exception aux lois de la nature, — dont elles ne sont pas la suite, mais plutôt le contraire, — ce qui est vraiment scientifique, c’est d’instituer pour les étudier une méthode qui ne convienne qu’à elles. M. Tarde l’a tenté dans son livre, et il faudrait l’en remercier, — s’il n’avait été d’ailleurs uniquement guidé dans cette tentative par l’amour de la science et de la vérité.