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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/227

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tout ce qui nous entoure, nous ne nous approprions que ce qui convient au développement de notre Moi ; et qu’ainsi nos actes, déterminés par ce qu’il y a de plus intime et de plus profond en nous, sont en quelque sorte plus « nôtres » que s’ils procédaient d’une décision libre.

Mais quel avantage M. Tarde trouve-t-il à changer ainsi la base de la responsabilité morale ? Nous l’avons déjà dit : il croit, non pas sans doute concilier ensemble les conclusions contradictoires de l’ancienne et de la nouvelle foi, ni combler le « gouffre infranchissable » qui sépare la conscience de la science, mais, de l’une à l’autre, il croit jeter un pont, et ainsi faciliter le passage du présent à l’avenir. C’est ce qu’on pourrait discuter. Il faut voir comment nos anthropologistes, imbus qu’ils sont du respect superstitieux de la science, accueilleront cette revendication des droits de la conscience au nom de l’identité. S’ils ont pu protester, au nom de la physique et généralement des lois de la nature, contre la liberté, manqueront-ils d’argumens, et la physiologie, toute seule, au besoin, ne leur en fournira-t-elle pas assez, d’assez forts ou d’assez spécieux, pour contester à M. Tarde sa définition de l’identité personnelle ? Entendront-ils aussi ce qu’il veut dire avec sa similitude sociale ? et, bien loin d’y rien voir qui fasse contre eux, comme on disait jadis, n’auront-ils pas plutôt quelque droit d’y retrouver leur propre doctrine, celle qui fait du danger de l’acte criminel ou délictueux le juge et la mesure de la pénalité qui le frappe ? Car enfin, M. Tarde y consent, diront-ils, puisqu’il admet que, selon les temps, selon les lieux, selon les circonstances, l’acte change de caractère, et le délit ou le crime de nom ; et qu’importe, après cela, si l’on supprime le criminel, que ce soit parce qu’il est dangereux pour ceux qui l’entourent, ou parce qu’il a cessé de leur ressembler ?

Et puis encore, tous ces détours sont-ils bien nécessaires ? et, à force de subtilité, ne finit-on pas par embrouiller ici ce qu’on nous avait promis d’éclaircir ? Est-il bien vrai, comme le dit quelque part M. Tarde, que « la gravité proportionnelle des divers crimes ait changé considérablement d’âge en âge ? » Et si seulement on veut bien réduire le crime à ses grandes espèces, qui sont le crime contre les personnes et le crime contre les propriétés, la moitié de ses raisonnemens ne tombe-t-elle pas avec leur objet ? Ingénieuse et savante, conforme à l’histoire et, comme telle, digne d’être retenue, la théorie de M. Tarde ne me paraît pas moins solide, mais seulement moins utile et moins utilement applicable en criminologie. Autant que de l’application des moyens de la science, il faut peut-être en sociologie se défier des « leçons » de l’histoire. Et de même, enfin, j’oserai dire que sa théorie de la responsabilité me paraît vraiment trop compliquée. Pour être, en effet, justement réputé responsable ou coupable d’un crime, que