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des « crimes de sang, » comme des autres. Cela est vrai des crimes qu’on appelle aujourd’hui « passionnels, » comme de ceux qui n’ont que la cupidité pour mobile et pour fin. La théorie de M. Tarde n’eût-elle donc que ce seul mérite, ce serait déjà beaucoup ; et on le voit sans que j’y insiste. Mais elle en a d’autres encore, et il me reste à indiquer ce qu’elle a fait ou ce qu’elle fera rien qu’en déplaçant les termes de la question, pour l’avancement de la question même.

Elle lui a permis d’abord de restituer la question à sa juridiction naturelle ; et, de « biologique » qu’elle était, selon son expression, de la rendre « sociologique, » ou pour mieux dire encore peut-être « psychologique. » Parmi beaucoup de faits insignifians, qui sont comme le résidu de toute observation et de toute expérience, les anthropologistes en avaient signalé de curieux et d’intéressans, mais ils les interprétaient mal. Trop pressés qu’ils étaient de conclure dans leur propre sens, ou, si l’on veut encore, de constituer leur science avant d’en avoir reconnu le véritable objet, il n’était pas jusqu’à leurs statistiques dont on peut dire qu’ils n’avaient pas la clé. Ils s’arrêtaient trop tôt dans la recherche des causes ; et quand, par exemple, ils avaient constaté, chez une catégorie de criminels donnés, la constance d’une malformation physique donnée, ils croyaient avoir trouvé l’explication du crime.

Mais surtout, ils méconnaissaient la hiérarchie des raisons des choses, et que le crime étant, pour ainsi dire, une création de la société, s’il y a quelquefois des causes physiques du crime, elles sont toujours subordonnées à ses causes sociales. Les animaux ne commettent point de crimes ; le tigre ou le serpent, en suivant leur « férocité, » se conforment à leur nature ; et ne faut-il pas dire que c’est nous qui les injurions quand, pour décrire leurs mœurs, nous leur appliquons des mots qui ne conviennent qu’à l’homme ? On lira, sur ce sujet, dans le livre de M. Tarde, les chapitres remarquables qu’il a consacrés au criminel et au crime, ou, pour préciser encore davantage, à la psychologie du criminel et à l’analyse des causes sociales du crime. « Le criminel, dit-il énergiquement, est avant tout l’œuvre de son propre crime ; » et, pour l’intelligence de cette formule, je renvoie le lecteur, en même temps qu’au chapitre de M. Tarde, au célèbre roman de Dostoiewsky : Crime et châtiment. Et, quant au crime, sans nier qu’il suppose « des conditions physiques et physiologiques, » il s’explique avant tout, « dans sa couleur locale, comme dans sa forme spéciale à chaque temps, dans sa distribution géographique comme dans ses transformations historiques, dans la proportion variable de ses divers mobiles ou la hiérarchie instable de ses divers degrés comme dans la succession de ses procédés changeans, par les lois générales de l’imitation. »