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L’entretien avait lieu presque à voix basse, loin de la haute cheminée où se chauffait la douairière, loin de la table où Marie-Madeleine dessinait, loin de deux dames esseulées, qui bâillaient, l’une en face de l’autre, tout en regardant une pendule monumentale. D’après le tour que cet entretien avait pris si rapidement, M. Réal pouvait augurer qu’il lui serait difficile de retrouver une aussi bonne occasion de faire parler le jeune comique amateur, dont la rivalité pouvait bien l’agacer parfois, mais l’inquiétait infiniment moins que celle du baron.

— Ah ! c’est une grande ravageuse de cœurs que Mlle  Marie-Madeleine ! dit Frantz avec un soupir prémédité.

— Là ! fit Edgar. J’en étais sûr !.. Oui, j’étais sûr que vous l’aimiez aussi, vous, monsieur le savant, monsieur l’homme sérieux !.. D’ailleurs, tout le monde l’aime. Et voilà bien le chiendent !.. Oh ! pardon !

— Ne vous reprenez pas, dit en souriant M. Réal. La locution a le mérite d’être claire. Et c’est tout ce qu’il faut, en vérité... Vous pensez donc n’être pas seul...

— Seul ? Ah ! pardieu ! non. D’abord, il y a vous, mon bon monsieur, ne vous en déplaise.

— Si vous voulez, dit Frantz avec résignation. J’admire Mlle  Hart. Admettons que je l’aime, puisque cela paraît vous faire plaisir.

— Ah ! mais non, fichtre ! ça ne me fait pas plaisir... Et pourtant, tenez, je vous le dis sincèrement, votre admiration, votre toquade ou votre amour me gêne moins que d’autres sentimens analogues qu’éprouvent d’autres personnes pour le même objet.

— Bah !.. Je sais bien que l’on a parlé du jeune M. de Remillemont, qui est, dit-on, désespéré...

— Pas sérieux, interrompit Edgar Lecourtois. II a menacé son papa de se brûler la cervelle parce que sa famille opposait de la résistance à ses projets autant que Mlle  Hart elle-même... S’il avait été sérieux, il l’aurait- fait.

— Le feriez-vous donc, vous ?

— Non ; mais je n’en parle pas... Et puis, moi, si je veux épouser, c’est que je suis sûr de réussir. J’épouserai.

— Diable ! fit Real intéressé. Vous êtes afïirmatif.

— J’ai mes raisons. Mon père finira par céder. D’abord, c’est lui qui est cause de tout. Pourquoi m’a-t-il rappelé ? Et que faire en province si l’on n’y est pas même amoureux ? Ensuite, il a une propriété pas loin d’ici, papa, ce qui me permettra d’avoir toujours un pied chez les Buttencourt et de suivre mon idée. Or, une idée qu’on suit est une idée qui finit toujours par se laisser prendre... et transformer en belle et bonne réalité.