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connaître. Après la trois centième version latine, il est bien clair que l’élève aura l’esprit plus exercé et plus cultivé qu’après la neuvième : de Cornélius Népos ou de Salluste, il aura pu s’élever à Tacite et à Virgile ; il aura résolu une série de problèmes consistant à retrouver et à exprimer la pensée de grands écrivains ; il saura mieux et le latin et le français. Mais, après le trois centième théorème de géométrie, l’élève en sera-t-il plus intelligent ? S’il étudie l’ellipse après avoir étudié le cercle, son esprit subira-t-il une métamorphose ? De même, s’il résout les équations du second degré après celles du premier, sera-t-il un autre homme ? Non, car en définitive, de théorème en théorème, c’est toujours la même chose. Et si, en chimie, après avoir étudié le soufre on étudie l’iode, y aura-t-il progrès intellectuel ? Et si, en botanique, après avoir étudié la famille des rubiacées on apprend les caractères des primulacées ? ou si, après avoir examiné des morceaux de quartz on examine des morceaux de craie ?

A vrai dire, l’enseignement des sciences, avec son défilé de faits et de lois que ne relie aucune considération philosophique, ne fait avancer l’esprit qu’en apparence : en réalité, on piétine sur place. C’est comme si, après avoir cité un exemple d’une chose, on en citait encore un millier. Il n’en est pas de même dans les sciences morales et sociales. Si, après avoir étudié les lois de la sensibilité et des passions, on étudie celles de l’intelligence et de la volonté ; si on passe de là à la logique et à la morale ; si on s’élève à des considérations sur la nature et sur la valeur de l’existence, il est clair qu’on avance et même qu’on monte. Si, en économie politique, après les lois de la production, on étudie celles de l’échange, il est clair qu’on aura une idée plus complète des sources de la richesse ; si, en politique, après avoir étudié les avantages et les dangers de la monarchie, on étudie les avantages et les dangers de la démocratie, on aura l’esprit mieux orienté. Si, en esthétique, après le fort et le faible de l’idéalisme, on examine le fort et le faible du réalisme ; si, des diverses espèces de poésie, on passe aux arts plastiques et à la musique, il est clair qu’on aura un goût plus éclairé et des idées plus larges. Les sciences morales et sociales sont une ascension perpétuelle ; les sciences mathématiques et physiques ne deviennent une ascension de ce genre que dans leur partie philosophique, morale et sociale.

En simplifiant les études scientifiques selon les principes que nous venons d’établir, il faut aussi les unifier. Et le moyen est tout trouvé, il s’impose de lui-même : le lien des diverses sciences ne