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de bachelier es sciences est un brevet accordé à l’absence même de cette culture, que remplace une sorte d’industrie pseudo-scientifique[1].

Nos professeurs de sciences, soit élémentaires, soit spéciales, sont forcément réduits au rôle subalterne de « préparateurs, » tandis qu’ils devraient être, pour leur part, des éducateurs. Ils n’enseignent pas la science, ils enseignent les moyens d’arriver aux écoles du gouvernement, avec toutes les petites recettes à cet usage. Ainsi, élèves et professeurs sont condamnés à un vulgaire utilitarisme. Les diverses écoles de l’état se font une idée fausse de la

  1. Par malheur, les administrations de la guerre, de la marine, etc., qui rédigent les programmes d’admission aux Écoles spéciales (polytechnique, Saint-Cyr, navale, etc), ne consultent même pas l’Université, chargée de préparer les jeunes gens aux concours d’admission ; aussi, quand la commission récemment nommée par le ministre de l’instruction publique s’est trouvée en face des programmes du baccalauréat ès sciences, elle a déclaré impossible d’en rien retrancher tant que les exigences des grandes Écoles de l’État demeureraient les mêmes ; mais elle a émis le vœu que, dorénavant, des commissions mixtes, composées d’universitaires, de militaires, de marins, pussent réduire et arrêter d’un commun accord les programmes d’admission aux écoles et faciliter en même temps l’instruction militaire dans nos grands lycées. Il y a là, pour nos ministres, un devoir que le parlement, s’il y a lieu, peut leur rappeler. — Il est essentiel aussi de reculer la limite d’âge pour l’entrée aux écoles de l’État. Aucun motif ne justifie les exigences actuelles. Si l’École polytechnique abaisse la limite d’âge, sait-on quelles hautes raisons elle met en avant ? M. Michel Bréal, après information, nous les révèle : « C’est pour permettre aux ingénieurs d’atteindre par droit d’ancienneté le grade d’inspecteur-général et aux officiers celui de colonel. » Qu’en diraient les Carnot, les Monge, les Guyton de Morveau, les Berthollet et autres fondateurs de cette école qui se donne comme ayant pour objet une « instruction théorique générale ? » Quant à la ma’ine, M. Rochard, qui a passé sur mer une longue partie de sa vie, déclare qu’il n’y a pas même l’ombre d’une raison à la limite d’âge qu’on impose. Le cours de mathématiques spéciales, par la quantité de connaissances qui y est accumulée et par le nombre d’heures de travail qu’il impose aux élèves, trente heures de classe par semaine, est, de l’aveu de tous nos professeurs, une monstruosité ; mais, là encore, l’Université ne pourra rien changer tant que les programmes d’admission aux écoles n’auront pas été eux-mêmes modifiés. Par ses questions captieuses, l’examinateur des grandes écoles devient « ce que les sophistes grecs étaient pour les géomètres leurs contemporains. » Ainsi parle un profond mathématicien qui fut lettré et philosophe en même temps qu’administrateur habile, Cournot. La subtilité sophistique sur chaque question ou l’augmentation indéfinie du nombre des questions, telle est l’alternative des examinateurs. Le résultat final, dit encore Cournot, c’est que l’État paie des préparateurs pour tromper les examinateurs sur la valeur de leurs élèves et des examinateurs pour déjouer les préparateurs. — Il y a du moins une école qui relève de l’Université seule et qui, étant la première de toutes, doit donner l’exemple : c’est l’École normale. Il faudrait que les programmes d’admission pour la section scientifique fussent soumis à une révision attentive. Malheureusement, l’École normale est elle-même solidaire de l’École polytechnique, au-dessous de laquelle elle ne peut rester et à laquelle ses propres élèves doivent un jour préparer les futurs candidats. La grande coupable, en définitive, c’est donc l’École polytechnique, à laquelle il faut ajouter l’École de Saint-Cyr et l’École navale.