Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toute consultation sur ce sujet est vaine : « L’on demande s’il faut aimer. Cela ne se doit pas demander, on le doit sentir. L’on ne délibère pas là-dessus, l’on y est porté, et l’on a le plaisir de se tromper quand on consulte. » La femme doit être déjà persuadée pour consentir à se laisser convaincre ; elle y consent alors volontiers, car on lui rend le service de motiver ses entraînemens par des raisons, ce qui rassure sa conscience.

Persuader, au fond, c’est plaire. Or pour découvrir les moyens de plaire, il faut pénétrer dans l’âme du sujet afin de lui faire honneur de ses qualités, de flatter au besoin ses défauts. La même sagacité est nécessaire pour interpréter un sourire ou une larme que pour instituer la théorie de l’arc-en-ciel ou de la rosée. C’est le même « esprit de finesse, » propre au physicien, qui démêle les choses de l’amour ; il ne fait que changer d’objet, car, après tout, il s’agit dans un cas comme dans l’autre, de bien analyser, puis de synthétiser les élémens fournis par l’analyse de manière à reconstituer leur ordre naturel. On n’a pas seulement affaire, comme en géométrie, à des suites logiques d’idées abstraites, mais bien à des trames de faits particuliers et concrets. Il ne s’agit plus de définir et de déduire, mais d’observer et d’induire. On doit d’abord embrasser le phénomène physique ou l’état moral qu’on étudie dans toute la complexité de ses conditions, afin de ne rien laisser échapper qui puisse servir à l’expliquer. On doit ensuite l’expliquer, c’est-à-dire découvrir autant par divination que par méthode comment se combinent les conditions pour le déterminer. Dans la première opération, l’esprit est tenu d’apporter « une souplesse de pensée qu’il applique en même temps aux diverses parties aimables de ce qu’il aime. » Dans la seconde : « Des yeux l’esprit va jusques au cœur, et par le mouvement du dehors, il connaît ce qui se passe au dedans. » Il faut qu’il ait le flair du voleur en présence d’une maison close dont la façade trahit la disposition intérieure, les moyens d’y entrer et d’en sortir. Il en est, au contraire, de la géométrie comme d’une maison à construire ; on n’y peut procéder que dans deux directions, de bas en haut et de long en large, et chaque étage trouve ses assises prédéterminées par le niveau supérieur de l’étage précédemment bâti.

L’esprit de finesse s’attache à découvrir les mobiles secrets du cœur, à comprendre le caractère de la personne aimée. Il saisit toutes les nuances de l’âme ; mais c’est ce même esprit, poussé jusqu’au raffinement, c’est la délicatesse qui choisit parmi les découvertes de la finesse celles dont peut profiter l’amour pour les mettre en lumière et en valeur. « Les femmes aiment à apercevoir une délicatesse dans les hommes ; et c’est, ce me semble, l’endroit