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objet de méditation et de science ; il a pu chercher, dans les distractions du monde, une diversion salutaire à ses maux, mais il est tout à fait invraisemblable qu’il se soit si vite transformé en un Lauzun. Il était assez perspicace pour tout deviner de ce qu’il entrevoyait. Nous essaierons, plus loin, de dégager de ses réflexions le fruit de son expérience personnelle.

Nous avons déjà rencontré en lui, à propos de l’amour, quelques vues sur le sens de la beauté physique et sur le goût qui est le sens du beau moral, mais qu’il ne désigne par aucun nom spécial. Il ne s’en tient pas à ces premiers aperçus ; obéissant à son génie scrutateur, il pénètre plus avant dans l’esthétique générale, et il en pose les fondemens en deux pages très importantes.

Il considère d’abord la beauté morale engagée dans la matière, exprimée par celle-ci, sous le nom d’agréable ; ce mot n’a pas chez lui l’acception étroite de ce qui plaît aux sens, mais désigne ce qui séduit l’âme par les dehors. Il reconnaît tout de suite que, dans la forme matérielle expressive, le moral et le physique s’identifient. « C’est d’une beauté morale que j’entends parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions du dehors. L’on a bien une règle pour devenir agréable ; cependant la disposition du corps (la bonne grâce du corps, comme l’entend M. Havet) y est nécessaire, mais elle ne peut s’acquérir. » — Ainsi, la beauté morale n’est pas seulement adjointe au signe physique, parole et geste, elle y a passé, elle s’y est fondue en devenant l’agréable. « L’agréable et le beau n’est qu’une même chose. » Et il ajoute : « Tout le monde en a l’idée. » C’est, en effet, la fonction même du signe expressif de révéler immédiatement la chose signifiée. Remarquons que, dans les deux fragmens précédens, Pascal ne vise pas la beauté purement plastique, c’est-à-dire celle qui n’exprime aucun état de l’âme et demeure indépendante de la volonté. Il ne considère de cette beauté que la grâce mobile employée à l’expression des sentimens distingués ; il ne s’occupe encore que de la beauté psychique exprimée par la forme en action, par le mouvement de la parole et du geste. Il s’ensuit que le rôle de la volonté y peut être excessif et abusif. « Les hommes ont pris plaisir à se former une idée de l’agréable si élevée, que personne n’y peut atteindre. » Il affranchit l’agréable de cet arbitraire compromettant et lui rend la spontanéité : « Jugeons-en mieux, et disons que ce n’est que le naturel, avec une facilité et une vivacité d’esprit, qui surprennent. » Et, au point de vue de l’amour dont il traite, il ajoute : « Dans l’amour, ces deux qualités sont nécessaires : il ne faut rien de force et cependant il ne faut rien de lenteur. » C’est là une élégante définition de la grâce qui exprime l’usage aisé de la vie. Mais il ne la