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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/349

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aurait pu dire dans le style imagé qui lui était propre que la fortune l’avait choisi pour son ministre plutôt encore que pour son favori, et qu’elle n’avait accumulé sur lui ses richesses que poulies répandre par son moyen et être plus sûre de leur juste distribution. Ce langage métaphorique, pour aussi pompeux qu’il eût été, n’aurait eu rien d’exagéré. Ces faveurs qu’il tenait de Charles Ier, Newcastle les lui rendit toute sa vie sous les formes les plus nobles. La première occasion qu’il en eut fut le voyage que le roi fit en 1633 pour visiter sa native Écosse. Comme il devait visiter le Nottinghamshire, il fut invité par Newcastle à choisir le château de Welbeck pour une des étapes de son voyage, et il y reçut la plus splendide des hospitalités. Une circonstance littéraire intéressante se rapporte à cette réception. Entre autres plaisirs, il fut offert à Charles un de ces masques allégoriques dont la mode persistait encore et qui sous les règnes d’Elisabeth et de Jacques Ier avaient été pour le haut monde anglais le plus fastueux des divertissemens. Newcastle s’était adressé pour ce masque au vieux Ben Jonson, qui en avait fait tant et de si beaux, le maître incomparable en ce genre facilement monotone et artificiel, mais auquel l’étendue de son savoir mythologique avait fait rendre des combinaisons toujours nouvelles et dont sa robuste imagination avait réchauffé des flammes de la vie les froides allégories. Le poète n’était plus alors que l’ombre de lui-même ; deux ou trois attaques successives de paralysie lui prédisaient sa fin prochaine, son existence toujours étroite était devenue avec la vieillesse et la maladie besogneuse à l’excès, et il venait justement d’épuiser ce qui lui restait de verve contre son ancien associé, Inigo Jones, l’architecte, le décorateur et le machiniste de ces divertissemens princiers et municipaux. Il fit donc ce qu’il put, arrangea une manière de divertissement rustique où il multiplia les allusions tant à l’hôte qu’au royal invité, mais la chaleur et la clarté manquent, et ce masque qui dans des temps meilleurs lui eût été une occasion de se surpasser est la plus faible de ses œuvres. Quelques passages cependant conservent encore assez de force pour reporter la pensée vers les préoccupations politiques de l’époque et les dangers que pouvait laisser entrevoir dès lors le caractère de Charles Ier. « Notre roi est un prince qui est la loi par lui-même, il est bon pour amour de la bonté même, et devient ainsi la règle de ses sujets… Ah ! bénis son voyage et son retour, ô puissant roi du ciel ! bénis sa belle compagne et les gages certains qu’ils nous ont donnés, afin que la destinée ne lui en fasse jamais sentir l’absence, car la succession assurée fortifie un état, et, puisqu’il faut qu’il soit mortel, fais qu’il ne sente rien de mortel dans sa maison… » Mais quelle que soit la faiblesse de cette production, nous aimons à savoir qu’elle fut payée grassement à Ben Jonson,