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qu’une médiocre tendresse ; il les considérait comme improductives par nature, et par conséquent comme étant des causes d’épuisement pour la richesse nationale ; il les regardait encore comme aptes à stimuler les ambitions mal justifiées et à servir les esprits d’intrigue et de faction ; aussi aurait-il voulu que ceux qui s’y livraient y restassent enfermés sans empiéter sur d’autres domaines, et qu’il fût pris telles mesures qui empêchassent que dans chacune le nombre des praticiens pût grossir indéfiniment. En revanche, il portait au commerce le plus vif intérêt ; en cela il est bien Anglais, et ses opinions sont bien vraiment nationales. Son idéal de société peut être exprimé en deux mots : il voulait des sujets soumis, mais il voulait des sujets riches, et cela encore dans une pensée monarchique, afin que le prince fût riche aussi ; or, le commerce étant l’unique moyen de créer et d’accroître la richesse, les princes ne sauraient trop l’encourager. Richesse et soumission, deux termes qui sont d’ordinaire plutôt en contradiction qu’en harmonie, mais cette contradiction, Newcastle ne l’apercevait pas plus que ne l’aperçut plus tard notre Fénelon lorsqu’il recommandait à son royal élève de favoriser les arts de la paix de préférence à ceux de la guerre, et de protéger les industrieux de préférence aux ambitieux. On l’aurait fort étonné, si on lui eût dit qu’une des causes les plus puissantes, quoique des moins apparentes, de cette rébellion qu’il s’était efforcé d’arrêter, était précisément dans l’accroissement de la richesse générale qui avait créé, nourri et encouragé chez les sujets l’esprit d’indépendance mieux et plus certainement que n’auraient pu le faire le souci de la liberté et le souci de la religion. Il voyait encore dans un commerce actif un autre avantage, celui-là tout politique et patriotique ; c’est que le commerce exige de fréquens voyages, que les voyages exercent et multiplient les marins, et que les habiles marins sont les vrais défenseurs d’une île. On a fait remarquer qu’il est le premier en date qui ait parlé des remparts de bois de l’Angleterre, expression destinée à une si grande fortune ultérieure, tant en prose qu’en vers. À coup sûr, voilà un programme social bien différent des nôtres, mais dans tout ce que venons d’exposer, qu’y a-t-il qui puisse étonner beaucoup ceux qui savent ce qu’ont pensé chez nous dans le cours du XVIIe siècle nos grands hommes d’État et nos grands écrivains monarchistes ? Richelieu pensait-il autrement sur le rôle de la noblesse, sur les professions libérales, sur le danger qu’il y avait pour un état à permettre aux citoyens de sortir de leurs professions héréditaires ? Louvois pensait-il bien différemment sur l’armée, et était-il plus disposé à croire qu’elle appartenait plutôt à la nation qu’au roi ? Bossuet avait-il plus de tendresse pour l’esprit de controverse ? Cependant il est arrivé mainte fois à