Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le colonel. — Partons pour notre nouvelle plantation, partons pour notre nouvelle plantation ; — chaque homme avec sa femme, quoique cela nous promette dure vie, et que la pauvreté soit notre premier fonds.


Quelque rétrogrades que puissent paraître ces opinions de Newcastle, nous ne parvenons à y découvrir aucune trace de préjugés ; elles en sont aussi libres que celles même de Hobbes. Il n’y a là aucune idolâtrie monarchique, aucune superstition de caste. S’il veut que la volonté du prince soit la loi souveraine, ce n’est pas par croyance à un droit divin quelconque : il parle au nom du seul pouvoir civil et des conditions nécessaires du fonctionnement de l’État, dont il s’est fait une idée étroite peut-être, mais très précise, sans rien de mystique, à la façon de Jacques Ier, ou de patriarcal, à la façon de Robert Filmer. L’évêque Laud l’avait eu en grande estime ; mais il est probable que, dans les conversations politiques qu’ils eurent ensemble, leur dévoûment mutuel à la cause royale les dispensa de pousser jamais la discussion sur le terrain des premiers principes, sans cela ils auraient eu certainement quelque peine à s’entendre. Cela veut dire qu’il avait l’esprit philosophique, mais qu’il ne l’avait pour le monde qu’autant qu’il lui plaisait de l’avoir, dans la mesure où il le jugeait compatible avec l’essentiel de ses opinions et les devoirs qu’elles lui imposaient. Nous avons nombre de témoignages de cet esprit philosophique, et nous en avons déjà produit beaucoup dans le cours de cet essai : il nous reste à citer le plus important de tous, une certaine conversation sur les sorcières, qu’il eut avec Hobbes. Cette conversation, à peu près inédite, n’ayant été relevée, à ma connaissance, par aucun des écrivains qui ont traité de la sorcellerie, est absolument mémorable, tant pour l’opinion qu’elle exprime que pour le commentaire prudent dont la duchesse l’accompagne, et qui prouve le soin avec lequel Newcastle évitait d’ordinaire d’aller jusqu’au bout de sa pensée.


Un autre jour, leur conversation étant tombée sur les sorcières, M. Hobbes dit que, quoiqu’il ne pût croire rationnellement qu’il y eût des sorcières, il ne se sentait pas cependant entièrement libre de croire qu’il n’y en avait pas, par la raison qu’elles confessaient elles-mêmes qu’elles l’étaient, lorsqu’elles étaient strictement interrogées.

Monseigneur répondit que, bien qu’il eût peu de souci qu’il y eût ou non des sorcières, cependant son opinion était que les aveux des sorcières et les souffrances qui en résultaient provenaient de cette croyance erronée qu’elles avaient fait avec le diable un contrat pour le servir