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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/381

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GUIZOT

Guizot a inventé le parti, le gouvernement et la doctrine du juste milieu. — On n’invente pas ; on s’exprime dans ses œuvres et dans ses actes, plus ou moins clairement, complètement, heureusement. Guizot, de tournure d’esprit, de tempérament intellectuel, de conception générale des choses, était juste milieu, dès ses commencemens, dès l’âge où c’est plus naturellement vers les extrêmes, et même vers les extrêmes contradictoires que l’on tend, et, chose remarquable, c’est plutôt en vieillissant qu’il a semblé, je dis semblé, se laisser emporter aux idées exclusives et aux partis-pris.

Il était juste milieu très judicieusement et fermement, par conviction que la vérité humaine est une moyenne, une ligne centrale à égale distance des opinions hasardées et aventureuses de droite et de gauche, un « entre-deux » auquel il faut croire et se tenir, le reste devant seulement être connu et compris. Il imaginait l’esprit humain comme capable, précisément, de voir vite tous les points de la circonférence, mais pour en trouver le centre et pour s’y porter, et pour y rester. Il croyait que savoir, penser, réfléchir, raisonner ne sont que des moyens de trouver avec plus de précision, de sûreté et de certitude cette région moyenne qui est le séjour naturel et sain d’un esprit bien fait. L’originalité lui était suspecte, comme dangereuse, mal sûre et décevante, du moins à y rester et à la chérir. Bossuet ne s’est pas défié plus que lui des opinions particulières. Les opinions particulières étaient, pour lui, choses à connaître, à permettre, et à éviter, régions périlleuses et confuses où il faut pousser des reconnaissances, pour en rapporter des notions et des renseignemens utiles, mais où il ne faut pas faire d’établissemens.