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qu’il se contentait de n’en avoir aucun souci. En vérité, il y avait plus ; il n’en haïssait point la saveur amère. Elle lui donnait du ton. Il n’est jamais plus beau que quand, sans la provoquer, du moins il lui dit : « A votre aise ! » Il assure « qu’il ne connaît pas l’embarras et qu’il ne craint pas la responsabilité. » Vous pouvez l’en croire, et que non-seulement il ne craint pas la responsabilité, mais il l’assume avec empressement. «… Cette politique, disait-il en pleine chambre, j’en ai ma part, je n’en réclame que ma part ; mais si la responsabilité en paraissait trop pesante à quelqu’un, je suis prêt à accepter aussi toute la part dont d’autres ne voudraient pas. »

Tel il était en 1838, tel dès 1812. Il s’agissait alors de mettre un mot de convenance à l’adresse de l’empereur dans une leçon d’ouverture à la Sorbonne. Fontanes priait : « Faites cela pour moi. » Le jeune homme s’obstina. Il fallut se passer du compliment. C’était le jeune Guizot qui faisait ses exercices. Il s’exerçait à ne pas plier. — Cette certitude, cette solidité, cette assiette ferme de caractère parait dans ses répugnances comme dans ses actes. Il est stupéfait en face de Chateaubriand. Celui-ci allait répétant : « Mon défaut capital est l’ennui, le dégoût de tout, le doute perpétuel. » Et Guizot s’écrie : a Etranges dispositions dans un homme voué à restaurer la religion et la monarchie ! » Guizot, lui, ne s’ennuie pas et ne doute pas. Il est né pour la certitude et pour l’action.

Cette modération d’esprit et cette fermeté de caractère font l’originalité de Guizot. C’est un modéré énergique et un tempéré impérieux. Ce qu’il voudra, ce seront « des mesures modérées appliquées par des hommes énergiques. » Où les autres apportent, à l’ordinaire, ou des faiblesses, ou des nonchalances, ou des indécisions, faisant de leurs faiblesses des tempéramens, de leurs nonchalances des compromis, et de leurs indécisions des moyens termes, il apportera une complexion de radical au service d’idées conciliantes, et sera quelque chose comme un intransigeant du centre.

Et ces idées de juste milieu et ce tempérament d’avant-garde, et leur union indissoluble, et leur combinaison et ses effets, et ce que dans la pratique a produit leur concours, c’est ce que nous allons étudier.


I

Remarquons d’abord que, si le juste milieu était sa nature, comme je le crois, il était aussi son habitude d’esprit, prise de très bonne heure sous l’influence des circonstances et de ces