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tradition, raison de l’histoire, et l’esprit public, raison actuelle. En d’autres termes, la classe moyenne, devenue législateur, doit être un bon historien philosophe. Il est assez rare que l’on conçoive le gouvernement idéal, voire même celui du ciel, autrement qu’à son image.

La classe moyenne doit être, avons-nous dit, raisonnable et libérale. La liberté telle que la comprend Guizot est chose assez intéressante à étudier. Très autoritaire, très persuadé, non-seulement u qu’on ne gouverne que de haut en bas, » mais encore que l’individualisme n’est qu’un égoïsme, et l’égoïsme qu’une impuissance, partant aussi peu individualiste que possible, et, sans l’avoir jamais dit formellement, évidemment très enclin à croire que l’homme ne vaut que groupé, qu’associé, que concourant, que par la tâche commune où il participe, jamais il n’a envisagé, même un instant, la liberté comme un droit personnel, inhérent à l’homme, consubstantiel à lui et étant parce que l’homme existe. Personne n’a plus ignoré que Guizot la Déclaration des droits de l’homme. Et, par conséquent, tout le pourquoi et le comment du libéralisme, et sur quoi se fonde le droit de l’homme à la liberté, et comment se tracent les limites où la liberté doit rester contenue, sont choses dont il s’est occupé moins encore. Et comme ces questions, même parmi les doctrinaires, quoique moins qu’ailleurs, étaient fort discutées autour de Guizot, de son silence sur ce point, c’est au mépris de ces questions et non à l’ignorance en cette matière qu’on doit conclure. — C’est que Guizot était aussi peu métaphysicien, dans le sens même populaire du mot, que possible. Au fond, c’est un esprit très positif, encore que très élevé. On l’a fort bien vu quand nous avons résumé, sinon ses idées religieuses, à proprement parler, du moins ses idées sur les questions religieuses. En politique, il est le même. Le principe et le fondement rationnel des choses l’inquiète fort peu, le sollicite fort peu. Ce n’est pas un théologien. La théologie politique d’un Benjamin Constant, comme celle d’un Bonald ou d’un de Maistre, lui paraissait sans doute un peu oiseuse, et s’il nous avait donné sa pensée sur ce point, nous saurions très probablement qu’il n’y voyait qu’un jeu d’esprit.

Aussi pour lui la liberté n’est pas autre chose que « la participation du citoyen à la chose publique. » Et pourquoi le citoyen a-t-il le droit d’y participer ? Parce que c’est une chose bonne et salutaire, et il n’y a pas d’autre raison, ou du moins Guizot n’en voit pas d’autre. La liberté, pour Guizot, c’est la liberté politique. Vous êtes libre dans un pays où vous n’êtes gouverné que par la loi et par une loi faite par des assemblées délibérantes. Vous êtes libre par votre attache à une association libre, et seulement par cette attache, et tant s’en faut que la liberté soit chose personnelle, qu’au