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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/40

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présentait le Livre de l’Alliance sous une forme mieux accommodée aux idées hiérosolymitaines, sous la forme du Décalogue. Il ne renfermait rien qui pût blesser les prétentions de Juda, puisqu’il avait été rédigé à Jérusalem. Et pourtant ce livre était moins lu que le récit jéhoviste, sans doute parce qu’on le trouvait moins pieux, moins propre à montrer les devoirs étroits d’Israël envers Iahvé. Le nombre des exemplaires devait être extrêmement peu considérable. Le récit élohiste, ayant pour objet principal les généalogies, pouvait n’être contenu que dans un ou deux exemplaires. On lisait peu alors ; la parole remplaçait le livre, et voilà pourquoi la parole affectait des formes si vives, conçues en vue de frapper la mémoire et de s’y imprimer.

Cette duplicité dans la rédaction d’un livre qui, chaque jour, prenait plus d’autorité, n’était pas, néanmoins, sans de graves inconvéniens. Elle avait eu sa raison d’être, à l’époque des deux royaumes ; elle n’en avait plus depuis que la maison d’Israël était réduite à un petit territoire. Si la dispersion des juifs n’avait pas été si grande au moyen âge, certainement les deux Talmuds de Jérusalem et de Babylone seraient arrivés à se réunir en un seul. L’idée de fondre ensemble les deux récits de l’Histoire sainte dut venir de bonne heure. C’est par conjecture, assurément, que nous rapportons cette opération au règne d’Ézéchias. Nous croyons, cependant, qu’on trouverait difficilement un temps qui réponde mieux que celui-ci à l’état d’esprit où une telle entreprise put être conçue et exécutée.

On a exposé, dans cette Revue[1], les délicates analyses que la critique moderne a essayées pour retrouver la trace des procédés qui présidèrent à cette œuvre singulière. On a dû réclamer l’indulgence pour les savans qui ont usé leurs yeux à ce travail. Les premiers déchiffreurs des rouleaux d’Herculanum n’eurent pas une tâche plus difficile. Dans ces petits blocs calcinés, presque toutes les lettres étaient visibles ; mais les pages se compénétraient à tel point, soudées et collées ensemble, qu’on ne pouvait affirmer si telle lettre appartenait à une page ou à une autre. D’habiles opérations de dévidement ont introduit le discernement dans ce qui ne paraissait que confusion. Il en a été de même pour le texte biblique. La science ne peut avoir la prétention, en ces matières difficiles, d’indiquer autre chose que les lignes générales. On reproche quelquefois aux hypothèses modernes sur la composition de l’Hexateuque d’être trop compliquées. Ce qui est bien probable, c’est qu’elles ne le sont pas assez, et qu’il y eut dans la réalité une foule de

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1886.