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les exclamations de la langue japonaise eussent accueilli leur récit. Après quoi, la troupe compacte des paysans se serait mise en marche, et, sans trop se presser, serait venue recueillir nos débris.

Rien de plus simple que de descendre. Mais chaque fois que nous voulons le faire, nos hommes s’y opposent amicalement, en s’écriant un peu moqueusement : « Dai-zyo-bu ! Dai-zyo-bu ! N’ayez pas peur ! N’ayez pas peur ! » Évidemment ils s’amusent à nous placer entre les sollicitations contraires de l’appréhension et de l’amour-propre. Nous finissons par en prendre notre parti et les laissons aller de leur allure de chevaux emportés, sans plus faire d’observation. Le proverbe fataliste nous enseigne, après tout, que « celui qui doit mourir pendu ne sera jamais noyé. »

Descendre avec la rapidité d’une pierre qui roule, puis gravir avec une lenteur de fourmi le même plan incliné, et au sommet retrouver la pente qu’on vient de laisser ! Il serait difficile de se rendre compte s’il y a, au total, gain ou perte en élévation à cet exercice. Mais le caractère graduellement changeant du paysage inspire le sentiment d’une montée constante. Bien qu’il fasse encore assez chaud, la température est plus fraîche que la veille ; l’air est plus léger, le bleu du ciel paraît même un peu différent ; les essences végétales ont changé d’aspect, et l’ami des hautes régions, le sapin, ne nous quitte plus, descendant avec nous jusqu’au fond dus entonnoirs, où notre itinéraire nous déverse parfois. Les fleurs, très rares dans la plaine japonaise, naissent sur le flanc des collines, au milieu des hautes herbes ; non pas les fleurs frêles et simples qui recherchent le bord des rivières et le gazon des clairières dans les petits bois où les arbres font le cercle, mais des espèces robustes aux vives couleurs et qui pourtant ne sentent pas leur jardinier. Les moustiques ont complètement disparu. En revanche, les mouches sont plus nombreuses, plus grosses, plus bourdonnantes. Vers midi, quelques minutes avant d’arriver aux trois maisons qui constituent le hameau où nous devons faire halte pour déjeuner, nous traversons un véritable essaim de taons de forte taille qui s’appellent en japonais abu. Tous ces petits désagrémens n’abattent pas l’intrépidité de nos hommes, qui continuent à rire, à s’interpeller joyeusement d’une voiture à l’autre, à échanger des plaisanteries d’un sel plus ou moins attique. — Le japonais se prête avec beaucoup de complaisance aux équivoques que nous nommons calembours, de sorte que cette langue a l’avantage de permettre à tout le monde, grands et petits, de faire au besoin parade d’un peu d’esprit.

Un peu avant sept heures, nous débouchons sur le plateau de