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disait le proverbe. Les géographes disaient : « De la Belgique, le roi de France ne tient que la seule Picardie, et c’est ici que gît une des principales pertes de nos rois sur la possession de leur ancien héritage. » Enfin, les hommes d’État observaient que les intentions d’Henri IV, si la mort ne l’eût surpris, « étaient de rendre le Rhin la borne de la France. »

Cette France plus petite était aussi plus rude. A vol d’oiseau, elle apparaissait, — comme nous la montrent les cartes naïves du temps, — couverte de forêts encore épaisses, hérissée de clochers, de créneaux et de moulins. La vie était plus haut perchée qu’aujourd’hui. Elle s’accrochait aux pentes des montagnes, aux collines, aux côtes escarpées. Dans les pays de plaine, elle s’installait sur des mottes élevées de main d’homme.

Les forêts des Ardennes, de Guise, de Compiègne, de Fontainebleau, de Montargis, les grands bois du Maine, du Poitou, de la Basse-Bretagne, la forêt de Brancôme en Angoumois, se rejoignaient presque, étendant, sur d’immenses contrées, un mystère continu. Des ours, des loups, des renards, des cerfs à tête noire offraient aux gentilshommes chasseurs un gibier abondant. Sous ces voûtes sombres se perpétuaient des races de bûcherons et de charbonniers vivant dans l’isolement et gardant, à travers les siècles, les coutumes et les superstitions antiques. L’hiver venu, on entendait leur hache cogner au fond des taillis, et, pour faire le charbon, ils allumaient, dans les clairières, les tertres mystérieux dont la lente cuisson couronne de fumée la cime ondulée des bois.

Les rivières non endiguées débordaient plus souvent, et leurs rives, fréquemment envahies, étaient malsaines. Pourtant elles étaient les grandes voies de communication. Les villes bâties dans leurs îles ou sur les collines avoisinantes, apparaissaient de loin, ceintes de murailles et de tours, fermées de portes étroites, déchiquetant le ciel de leurs édifices pointus.

Dans la campagne, les châteaux étaient nombreux, trop nombreux même, suivant le proverbe : « En France, trop de châteaux. » La plupart d’entre eux avaient gardé l’aspect renfrogné et les hautes murailles du moyen âge. Les fossés, les tours, les mâchicoulis, les créneaux avaient été réparés pendant les guerres de la Ligue. On avait seulement percé quelques embrasures par où passait la tête des coulevrines.

Au fond des vallées, au détour d’un bois, au gué d’une rivière, des chaumines serrées comme des poussins près du toit modeste des églises rurales, formaient ce qu’on appelait des paroisses.

Derrière l’église, le cimetière ombreux et moussu ; devant, une place avec les ormes, le crucifix et l’abreuvoir où les bestiaux viennent boire ; le long d’une route herbue, des maisons basses