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Beauce, bonne route, mauvais chemins, » disait le proverbe répété à l’envi par les voyageurs. L’habitant avait l’esprit adroit et caustique, et les « chats » de Beaugency en disputaient le prix aux « guépins » d’Orléans.

Autour d’Orléans, on retrouvait une fertilité moins uniforme, les collines ombragées, la vigne. Les vins du pays avaient une grande réputation ; mais ils passaient pour corrosifs. On ne les vendait pas à Paris ; il était interdit de les servir à la table du roi. Orléans attirait les étrangers et surtout les Allemands. Les privilèges accordés à la « nation germanique, » qui faisait partie de l’Université, les y retenaient. Ils prétendaient aussi qu’Orléans était la patrie du beau langage, de l’orléanisme, — comme on disait en Grèce l’atticisme. Ils trouvaient ses habitans « opulentissimes, » ses monumens admirables, ses rues bien alignées et bien pavées, ses maisons élégantes avec leurs salles garnies de nattes. Ils étaient d’avis qu’il y avait à Orléans plus de jolies femmes que nulle part ailleurs. En un mot, c’était la plus belle ville de France, selon le mot de Charles-Quint, qui disait avoir vu, dans ce royaume, cinq choses dignes de remarque : « une maison, La Rochefoucauld ; un pays, le Poitou ; un jardin, la Touraine ; une ville, Orléans, et un monde, Paris. »

Outre ces mérites, la situation d’Orléans, au sommet du coude de la Loire, lui donnait une grande importance. Dans les guerres civiles, la possession de son pont de pierre, garni de tours, avait été sans cesse disputée par les deux partis.

Bientôt commençait la Touraine, qui, par la grâce souriante du paysage, la richesse des constructions, la délicate fertilité des jardins, passait pour la fleur du royaume : « On passe la Loire à gauche, dit un voyageur, le chemin devient charmant parmi les arbres, les vignes, les villages, au bruit agréable des eaux qui courent vers la Loire. C’est une grande plaine qu’on a nommée avec raison le jardin de la France. » — « Nulle part, dit un autre, je n’ai eu un plus délicieux spectacle que du haut du château de Saumur, d’où l’on voit la Loire, la plaine qui s’étend au loin et toute la campagne en fleurs. »

Ce qui ajoutait au charme du paysage, c’était la beauté et la variété des châteaux. A l’exemple des rois, toute la noblesse s’était ruinée, sur ces bords, en constructions somptueuses. Depuis les masses imposantes de Langeais et de Luynes, jusqu’aux plus exquises finesses de Chambord et d’Azay-le-Rideau, l’architecture de la renaissance avait épuisé ses conceptions à embellir ces contrées. Tourelles en poivrières, mâchicoulis ornementés, arcs brisés, anses de paniers, fenêtres à meneaux, escaliers à jour, fleurons, coupoles, pignons,