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Pourtant elle est brave ; elle est entreprenante et s’élance hardiment dans les entreprises hasardeuses. Elle se vante de ses hardis marins et de « ce grand et illustre pilote, Jacques le Cartier, qui, soubs le règne du grand roy François, descouvrit le pays et isles du Canada et autres terres en la mer septentrionale, avec honneur et gloire immortelle. »

Dans les dernières guerres, avec son instinct catholique, ses aspirations séparatistes, ses mœurs brutales, la Bretagne s’était jetée dans la révolte, puis dans les bras de l’Espagne. Le duc de Mercosur avait positivement régné sur elle. La résistance s’était prolongée là plus que nulle part ailleurs. Il avait fallu qu’Henri IV vînt en personne pour rétablir l’ordre, et c’est ainsi qu’il avait daté de Mantes l’édit qui avait donné la paix religieuse au royaume. La Bretagne avait été longue à s’apaiser tout à fait. Elle restait toujours menaçante, et, au moindre vent de rébellion, les Vendôme, qui la gouvernaient maintenant, savaient qu’ils pouvaient compter sur elle pour soutenir leurs ambitions de cadets illégitimes et insoumis.

La Normandie formait avec la Bretagne un parfait contraste. Elle était la province la plus riche du royaume, comme l’autre en était la plus pauvre. Elle comptait parmi les plus soumises. Elle avait pour le commerce, pour l’industrie, pour les travaux et le bien-être de la vie pratique, un goût qui manquait complètement à son antique rivale. On la comparait déjà à l’Angleterre. Ses habitans ne passaient pas pour aimables. Ils étaient grands, sérieux et rudes. On citait traditionnellement, au sujet de cette province, le portrait si expressif de Robert Gaguin : « La Normandie a une métropole, six villes, quatre-vingt-quatorze places fortifiées et nombre de bourgs bâtis comme des villes. Il faut au moins six jours pour la traverser de part en part. Elle est d’une richesse prodigieuse en poissons, en troupeaux et en blé. Les poiriers et les pommiers y poussent en telle abondance qu’on fait de leurs fruits une boisson, le cidre, dont les habitans sont grands buveurs. Ils sont, de leur naturel, trompeurs, très attachés à leurs coutumes et à leurs mœurs, s’entendent parfaitement aux dois et aux procès. Aussi les étrangers craignent d’entrer en relations avec eux ; d’ailleurs, amis de la science, religieux, excellens dans la guerre, où ils ont remporté sur d’autres nations de très grands succès. »

Depuis le moyen âge, la Normandie était considérée comme une des grandes ressources du royaume tant en argent qu’en hommes. Elle payait, à elle seule, un cinquième des tailles. On disait :


Si bonne n’était Normandie
Saint Michel n’y serait mie.