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commerce des Antilles et des Indes allait lui donner. Elle n’avait pas revêtu le manteau somptueux dont, au XVIIIe siècle, le marquis de Tourny devait l’orner. Cependant, c’était déjà une belle ville, avec ses trois châteaux de l’Ormée, du Hà et de Trompette, avec ses huit abbayes, son université et son collège de jésuites ; avec ses deux collégiales, ses douze paroisses, avec ses clochers aigus, bâtis par les Anglais ; avec ses longs quais, que les vaisseaux de commerce garnissaient à perte de vue, durant les deux grandes foires de mai et d’octobre.

Elle s’adonnait déjà principalement au commerce des vins, qui descendaient le long de la Garonne et de la Dordogne pour, de là, être exportés en Angleterre et dans les pays du Nord, sous le nom de claret.

La Guyenne et le Bordelais étaient renommés pour l’esprit agréable et ingénieux, pour la culture de la noblesse et de la haute bourgeoisie. La fin du XVIe siècle avait connu le célèbre évêque d’Aire, François de Candale, « parfait alchimiste, inventeur de l’eau de Candale, très expert arquebusier » et qui, disait-on, avait trouvé la pierre philosophale ; Michel de Montaigne, « homme grandement docte, franc, ennemi de toute contrainte, fort instruit des affaires, principalement celles de la Guyenne, qu’il connaissait à fond ; » la sœur du moraliste, Mme de Lestonac, « femme grandement savante, et qui parlait bon grec et bon latin ; » le directeur du collège, Vinet, ami des Muret, des Turnèbe, des Buchanan.

Le parlement se recrutait dans une aristocratie de robe nombreuse, riche, éloquente, instruite. Il aimait à parler haut en s’adressant aux rois, et, comme la modestie gasconne s’en mêlait, on répétait volontiers, dans la ville, un propos attribué à Henri IV : « Que, s’il n’était roi de France, il eût voulu être conseiller au parlement de Bordeaux. »

De Thou, qui, au sortir de Bordeaux, a fait tout le voyage de Gascogne, rapporte que les Landes étaient loin de présenter alors l’aspect misérable qu’on peut leur supposer. « On trouve sur la route, dit-il, de grandes landes et des bruyères pleines d’abeilles et de tortues, avec des villages fort écartés les uns des autres, mais très peuplés. Les paysans y sont plus riches que dans tout le reste de la Gascogne. »

Bayonne, sans cesse menacée par les terribles inondations de l’Adour, était pourtant un port de mer actif et important. Les vaisseaux qui en partaient pour la grande pêche étaient des plus renommés pour leur esprit d’entreprise et la hardiesse de leurs équipages. Bientôt on entrait dans le Béarn, dont le caractère si marqué frappait les voyageurs : « Le langage de ces peuples est fort singulier