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évoqués devant moi. Il m’a semblé qu’il s’en dégageait un aperçu sommaire sur la formation de l’âme celtique et française à travers les siècles.


I. — ÉPOQUE GAULOISE, LE MONT BÉLÉNUS, LES DRUIDESSES DE TOMBELÈNE.

Dans les temps celtiques, la baie de Saint-Michel ne ressemblait pas à ce qu’elle est aujourd’hui. Un bois épais s’étendait sur une partie des grèves actuelles. Les bouquets d’arbres qui forment un nid de verdure sur l’escarpement du Mont sont un dernier reste de cette forêt. Tout au bout, entre l’océan des chênes et celui des flots, se dressait la pyramide granitique qui devint plus tard le Mont-Saint-Michel. Les druides l’avaient consacré au dieu solaire et le nommaient Tom Bélen. Après César, les Romains conquérans de la Gaule lui conservèrent cette dénomination et l’appelèrent Mons Tumba ou Tumulus Beleni. Une caverne s’ouvrait dans les flancs du roc. On s’y trouvait comme dans un temple circulaire soutenu par des monolithes bruts. C’était le Neimheidh ou sanctuaire des aïeux, tirant son nom d’un patriarche immémorial, ancêtre des Gaëls et des Kimris. Là, dans le demi-jour de la crypte, reluisaient des faisceaux de javelots, des piles de casques, dépouilles de vaincus, trophées de victoires gauloises, des lingots d’or, des bracelets de guerriers. Dans le fond, on voyait, rangés en demi-cercle, les étendards de diverses tribus celtiques, aux ailes bariolées, veillant comme des génies attentifs sur le trésor. Un collège de neuf prophétesses appelées Sènes habitaient ce sanctuaire défendu par la forêt sacrée et le sauvage océan. Sur ce rocher et aux alentours, les druidesses célébraient leurs rites, leurs mystères, leurs sacrifices. Les marins qui affrontaient la mer venaient les consulter dans cette caverne. C’est là qu’elles rendaient leurs oracles, qu’elles vendaient à prix d’or ces flèches magiques en bois de frêne, à pointe de cuivre, barbelées de plumes de faucon, qui étaient censées détourner les orages et que les Gaulois lançaient dans la nue quand grondait la foudre. Les sènes répandaient une terreur mystérieuse. On les appelait des fées, c’est-à-dire des êtres semi-divins, capables de révéler l’avenir, de revêtir diverses formes d’animaux, de circuler invisibles dans les rivières, de voyager avec le vent.

Comme la plupart des religions anciennes, la religion druidique avait deux faces : l’une extérieure, populaire et superstitieuse ; l’autre intérieure, secrète et savante. Le culte des druidesses en représentait la face populaire et passionnelle. La science et la tradition des druides en constituaient la partie profonde et philosophique. Les témoignages des plus grands politiques, historiens, voyageurs,