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voilure en rendit le maniement plus facile, on crut pouvoir remédier à ces inconvéniens en obligeant les bâtimens d’une force navale à conserver entre eux un intervalle invariable et fixé d’avance : cette condition, à la vérité fort sévère, ne parut réalisable que si on en atténuait la rigueur en rangeant les navires sur une seule ligne et l’un derrière l’autre, en un mot en adoptant la « ligne de file. » Dans cet ordre, en effet, chaque bâtiment n’avait pas d’autre préoccupation que d’observer la distance qui le séparait du navire placé immédiatement avant lui : d’ailleurs ce n’était pas toujours très facile ; si le navire de tête diminuait de vitesse, il fallait que chacun de ceux qui le suivaient fût attentif à faire subir à son sillage la même réduction, sans sortir de la ligne, bien entendu ; s’il prenait de Terre, au contraire, il fallait, à point nommé, déployer au vent la quantité de toile qui, sur chaque navire, devait procurer l’augmentation de vitesse convenable… Tout cela exigeait de l’instruction, de la pratique, une attention toujours éveillée, en tout cas un nombreux équipage où la fatigue de telles manœuvres pût se répartir sur un grand nombre de bras. Ces efforts, ces qualités du personnel, on ne pouvait les demander qu’aux bâtimens bien montés, bien armés, qui appartenaient au roi.

Dans la navigation de conserve, le groupe et la ligne de file, l’ordre rudimentaire et l’ordre perfectionné, établirent donc bientôt une différence essentielle, une différence que l’œil saisissait immédiatement entre un convoi de navires marchands et une flotte de guerre.

Disons ici que cette étroite obligation pour les escadres du roi de suivre un ordre parfaitement défini, satisfaisait autant à des considérations militaires qu’à des exigences purement nautiques.

On sentait que la navigation ordinaire, celle du temps de paix, était pour une escadre la meilleure école de navigation du temps de guerre et que celle-ci voulait des formations régulières, seules capables de suppléer par la coordination de tous les mouvemens individuels au défaut d’homogénéité d’une si grande réunion de navires disparates ; on sentait qu’on resserrait ainsi les liens de la discipline et de la confraternité d’armes, et bientôt, en effet, naissait au milieu des escadres, trop nombreuses pour que tous les capitaines pussent se connaître et s’apprécier, ce point d’honneur particulier qui défendait d’abandonner jamais son « matelot d’avant » et son « matelot d’arrière. »

C’était, du reste, le nombre même des unités de combat des flottes anciennes qui gênait, qui paralysait quelquefois leurs mouvemens : le vent et la mer n’agissaient pas de la même façon sur la tête et sur la queue de ces armées navales ; quelquefois les