Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est général, et qu’il nous serait facile de retrouver dans la conduite des énormes armées modernes, il y a des raisons profondes : l’esprit humain, du moins l’esprit des hommes que la Providence n’a pas marqué du sceau du génie, n’est capable d’embrasser qu’un nombre restreint de combinaisons ; il en est moins capable encore à la guerre, où la lutte contre l’instinct de conservation et les soucis de la responsabilité absorbent une forte part des facultés intellectuelles. Or depuis vingt ans nos navires sont devenus, nous l’avons dit, des usines flottantes, des machines admirables, mais trop compliquées ; et pourtant, alors qu’à ces outils de plus en plus délicats il faudrait des ouvriers de plus en plus habiles et rompus à leur spécialité par une longue pratique, la société moderne prétend nous donner un nombre considérable, un nombre superflu d’hommes ignorans qui ne font que passer à bord de nos navires et disparaissent à peine instruits.

Le meilleur de l’attention et de l’effort des capitaines se dépense donc à pénétrer l’infini détail des mécanismes, à « apprendre leur bateau, » tandis que leurs officiers, enfoncés dans le pur technisme, s’adonnent à la tâche ingrate d’instruire un personnel sans cesse renouvelé.

Eh bien ! ce qu’il reste d’un temps précieux, faut-il le consacrer à l’étude des opérations militaires ou à celle d’une tactique d’évolutions surannée ?

Le choix ne saurait être douteux : cessons d’embrasser l’ombre pour le corps ; tournons-nous enfin vers la réalité et familiarisons-nous avec ces problèmes redoutables qui se dresseront un jour devant nous… En un mot, apprenons la guerre. Sans doute il en est temps encore, mais peut-être n’y a-t-il plus un moment à perdre !