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comme elles se sont passées. Les appréciations que j’ai reproduites sur la conduite ou les talens de certains généraux étaient celles de toute l’armée ; je les ai partagées quand elles m’ont paru justes.

Je n’ai eu ni le désir, ni le temps d’attacher à ces récits aucune autre prétention que la vérité, et j’ai voulu leur laisser tout leur caractère militaire : c’est un journal de guerre nécessairement concis, que je destine à ma famille, et dans lequel je n’ai pu introduire que bien peu de réflexions sur les événemens et sur les hommes.



Je suis né à Montpellier le 28 octobre 1774. J’avais à peine dix-huit ans quand se forma la première coalition contre la république française. Au commencement de 1793, témoin de l’enthousiasme qui, dans toute la France, faisait voler la jeunesse aux frontières, je brûlais du désir de me joindre aux braves qui, déjà, avaient pris les armes pour défendre la patrie menacée. Dans chaque département s’étaient formés des bataillons de volontaires, et, depuis un an, conjointement avec les régimens de l’ancienne armée royale, ils composaient les armées de la république. J’éprouvais une sorte de honte de n’être pas encore parti, quand un de mes amis intimes, sergent-major au 1er bataillon des volontaires de l’Hérault, me proposa de servir dans ce corps, qui était à l’armée d’Italie. J’acceptai cette offre avec empressement, enthousiasmé d’avance par l’idée d’aller porter les armes en un pays si célèbre dans l’histoire, mais il me fallait le consentement de ma mère. Elle était veuve et avait cinq enfans. Deux fils, mes aînés, étaient déjà sous les drapeaux. Ma mère me représentait qu’elle allait rester seule, sans appui, avec deux filles en bas âge. Elle résista longtemps et j’eus bien de la peine à obtenir son consentement ; à la fin elle me l’accorda. Je courus au district et j’en sortis soldat. C’était le 1er mars 1793. J’entrais, en qualité de volontaire, au 1er bataillon de l’Hérault. Ma mère pleurait ; je l’aimais tendrement, notre séparation fut très douloureuse.

Le lendemain, je quittais Montpellier et me mettais en route pour rejoindre mon bataillon à Nice, où était le quartier-général de l’armée d’Italie, alors commandée par le général d’Anselme.

J’eus le plaisir de retrouver à Nice mon frère aîné qui servait, comme fourrier de grenadiers, dans le régiment de Barrois. Il a été tué, en 1796, en Italie, et mon second frère en Égypte.

Le quartier-général de l’armée d’Italie était, depuis le 28 décembre 1792, à Nice. J’appris, dans cette ville, que mon bataillon occupait, dans les Alpes-Maritimes, la position du Col-Noir.

Je séjournai à Nice seulement vingt-quatre heures, pour recevoir mon uniforme, un sabre, un fusil, des cartouches ; mais j’ignorais comment se chargeait ce fusil et comment on devait s’en