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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/601

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qui se trouva dans ce malheureux village fut massacré, après quoi le village fut détruit.

Le soir, le général Rampon envoya un aviso au Caire, pour informer le général en chef de ce qui s’était passé et de notre situation. Il y avait trois jours que ce bâtiment nous avait quittés, et nous ne recevions aucune nouvelle. Le général fit alors partir, par terre, un détachement, et nous conservâmes notre position, sans être inquiétés. Les paysans des villages voisins étaient épouvantés. Ils s’étaient réfugiés avec leurs bestiaux dans les îles du Nil.

Le 13, nous fûmes rejoints par un bataillon de la 61e avec deux pièces de canon. Nous reçûmes aussi des cartouches. Nous lûmes camper au village de Thèbes, en attendant des ordres du quartier-général.

L’épidémie ophtalmique et le manque de cartouches nous avaient fortement compromis.

L’ophtalmie d’Égypte est causée par une poussière impalpable, formée de sable imprégné de nitre, qui s’insinue partout et s’arrête sous les paupières. Cette ophtalmie purulente est fort contagieuse, et entraîne souvent la perte de la vue. On voit, lorsque le Nil commence à croître, une grande partie des indigènes avec un bandeau sur les yeux et l’on rencontre en Égypte, plus de borgnes et d’aveugles que dans toute autre partie du monde. Notre armée souffrit beaucoup de ces ophtalmies, surtout pendant la première année de notre séjour. Le climat avait produit déjà ces mêmes accidens à l’époque des croisades, puisque saint Louis, après un court séjour, ramena beaucoup d’aveugles et fonda l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris, pour recevoir trois cents d’entre eux.

Quant aux cartouches, le général Rampon et le chef de bataillon avaient commis une grande faute, en ne faisant point remplacer, avant notre départ, les cartouches qui avaient été brûlées à la bataille des Pyramides, ce bataillon étant celui, de toute l’armée, qui avait été le plus engagé ce jour-là.

Nous ne pouvions ainsi rester sur un échec. Après cette retraite forcée, nous repartîmes, le 19 août, pour retourner à Elfiel. Nous trouvâmes le village désert ; cependant, au bout de quelques jours, les habitans rentrèrent peu à peu dans leurs maisons. Le 1er septembre, nous plaçâmes notre camp en arrière du village. Le bataillon du 61e partit, avec les deux pièces de canon, pour la Haute-Égypte. Nous demeurâmes tranquilles dans ce camp.

Le 26 septembre 1798, le général Rampon me chargea d’une mission pour le quartier-général. Je m’embarquai sur une chaloupe armée, qui venait de la Haute-Égypte. Le courant du Nil n’est pas rapide, je n’arrivai au Caire que le 28.