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— encore l’un d’entre eux, le Pont-Neuf, était-il tout nouvellement construit. Les deux autres, le pont Saint-Michel et le Petit-Pont, se touchaient presque. De sorte que, le mouvement de la population s’étant, de toute antiquité, dirigé vers ce point central, les rues importantes y aboutissaient naturellement : c’était la rue Saint-André-des-Arcs, avec son prolongement, par la rue de Bucy, vers la porte du même nom et vers le faubourg Saint-Germain ; c’était la rue de la Harpe, gagnant la porte Saint-Michel ; puis la rue Saint-Jacques, artère principale de tout le quartier, débouchant directement sur le Petit-Pont, mais étranglée, à son issue, par la construction massive et encombrante du Petit-Châtelet ; enfin la rue Galande, qui, par la place Maubert, gagnait le faubourg Saint-Marcel.

Aux approches des ponts, les constructions étaient nombreuses, les rues petites, entassées, obscures, les maisons élevées, inégales, avec une infinité de fenêtres étroites et basses trouant le délabrement des façades. Le XVIIe siècle devait bâtir beaucoup dans ces régions. Mais c’est à peine si l’on avait commencé par l’hôtel de la reine Marguerite, hors des murs ; par l’hôtel de Nevers, beau palais inachevé ; par la rue des Poitevins et la rue Haute-feuille, par la rue Dauphine, qui continuait le Pont-Neuf, et enfin par le Pont-Neuf lui-même, œuvre magnifique, conçue sur un plan grandiose, soutenue par des quais larges et bien aménagés. Méritant véritablement son nom, il étalait alors, au milieu de Paris, la blancheur de ses tours et de ses parapets, et il portait le fameux cheval de bronze qui, après bien des vicissitudes, venait d’être érigé sur le terre-plein et n’attendait plus que son cavalier.

A peine achevé, le Pont-Neuf était devenu la grande voie de communication entre les deux rives. D’un côté comme de l’autre, Paris affluait là. Il suffisait de se mettre à l’abri dans un des balcons demi-circulaires qui le bordaient pour avoir sous les yeux le spectacle incessant et bariolé de la foule parisienne,.. foule infiniment moins monotone et moins réglée que celle d’aujourd’hui. Quelque chose du tumulte de la Ligue circulait encore en elle.

L’activité affairée du bourgeois, la flânerie éveillée du badaud, la vanité tapageuse du cadet à l’Espagnole, la pouillerie monacale, l’insolence des filles publiques, la morgue des seigneurs marchant en grande compagnie, l’empressement des courtisans se rendant vers le Louvre, cavaliers, piétons, carrosses, chaises à porteurs, tout cela roulait, dans une circulation interminable. Les charlatans, diseurs de bonne aventure, vendeurs d’orviétan, faiseurs de tours, y avaient élu domicile et y attiraient les flâneurs, les voleurs,