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aujourd’hui la ligne des boulevards, par la porte Saint-Antoine, la porte du Temple, la porte Saint-Martin et la porte Saint-Denis ; c’était là qu’elle se dédoublait. Une enceinte intérieure gagnait la porte Montmartre et la porte Saint-Honoré, pour venir buter sur les galeries du Louvre, en face la Tour-de-Bois ; une autre enceinte extérieure, plus récente et construite avec des contrescarpes et des bastions, coupait le faubourg Montmartre, laissait en dehors la ferme nommée Grange-Batelière, protégeait le couvent des Capucines, englobait le Palais et le jardin des Tuileries, et, à l’extrémité de celui-ci, venait se terminer, sur le quai, par la porte de la Conférence. Chacune de ces portes faisait très réellement partie du système de défense ; ce n’étaient pas des monumens d’apparat. Munies de ponts-levis et de tours, elles avaient servi, tout récemment encore, durant les sièges de la Ligue.

Une grande artère, parallèle à la Seine, allait de la Bastille à la porte Saint-Honoré, portant successivement les noms de rue Saint-Antoine, rue des Balais, rue du Roi-de-Sicile, rue de la Verrerie, rue des Lombards, rue de la Ferronnerie et rue Saint-Honoré. Elle était coupée perpendiculairement par deux autres artères qui formaient avec elle ce qu’on nommait la croisée de Paris : c’était la rue Saint-Denis, qui partait du Pont-aux-Marchands ; la rue Saint-Martin, qui s’amorçait au pont Notre-Dame. Ces voies étaient à peu près droites et on les appelait grandes, par comparaison ; tout le reste n’était qu’un confus mélange de ruelles étroites, tortueuses, malsaines, de coupe-gorges infâmes dont la direction et le nom changeaient à tout instant.

Cependant, dans certains quartiers, l’influence des siècles modernes commençait à se faire sentir. On éprouvait le besoin de respirer et de voir clair. On avait un peu plus confiance dans la police. On ouvrait les cours, on perçait les murailles, on osait déployer le luxe des ornemens extérieurs. L’influence italienne se manifestait non-seulement dans les palais des rois, mais dans les hôtels particuliers. Aux murs crénelés succédaient les grilles à jour, et aux vitraux les vitres.

À ce point de vue, il n’y avait pas de contraste plus significatif que celui que faisaient, à l’extrémité-est de Paris, la Bastille de Charles V et la place Royale d’Henri IV. Celle-là, toute renfrognée, toute massive, farouche et menaçante, avec sa couronne de mâchicoulis et ses canons tournés vers la ville ; celle-ci, élégante dans sa robe de briques et de pierres, régulière, classique, un peu froide et roide, mais toute civile, non militaire et laissant la grâce alignée des charmilles verdoyer dans l’espace carré qu’elle délimitait.