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découpeurs, égratigneurs et gaufreurs. Au-dessus de ces cent cinquante corporations, avec l’honneur et gloire que, dans un système tout traditionnel, donnait l’antiquité de l’institution, dominaient les grands corps de marchands : drapiers, merciers, pelletiers, bonnetiers et orfèvres. Ils formaient l’aristocratie des métiers parisiens, et marchands de « grosserie non mécanique, » ne mettant pas eux-mêmes la main à la pâte, ils étaient aptes aux fonctions-municipales.

Enrichie par le commerce, la classe bourgeoise s’élevait peu à peu jusqu’aux charges de robe, qui elles-mêmes touchaient à la noblesse et en facilitaient l’accès. Les grandes familles parisiennes, les Damour, les Sanguin, les Flecelles, les Villebichot, les Mesmes, les Molé, gardaient encore les mœurs traditionnelles et simples de leurs ancêtres. Ils portaient la barbe pleine à la Henri IV et revêtaient « le jupon, la simarre, le bonnet carré, le linge uni et la moire lisse. » Passé la jeunesse, ils affectaient une grande gravité, et les plus âgés étaient, en effet, de vie décente et même austère. Ils se groupaient autour de Saint-André-des-Arcs, dans la rue des Poitevins, la rue Hautefeuille, ou bien encore, pour rester à proximité du palais et des collèges, dans la rue Galande, la rue du Fouarre, jusqu’à la place Maubert. Les familles se mariaient entre elles, et se transmettaient, de père en fils, ces demeures solides et commodes qui ont, pour la plupart, duré jusqu’à nous.

On construisait beaucoup justement à l’époque dont nous parlons, et, en même temps, le goût du luxe se répandait. On pouvait gagner de grosses sommes dans les « parties » et les affaires de finances. La haute bourgeoisie parisienne y mettait la main. Selon le mot de Montesquieu, la profession lucrative des traitans parvenait, par sa richesse, à être une profession honorée. Si la dignité des anciennes mœurs en était atteinte, le commerce y gagnait ; l’usage des carrosses se répandait. Ce n’était plus le temps où le président de Thou s’en allait à la messe sur une mule, sa femme-en croupe, la cotte relevée. Les jeunes magistrats des enquêtes se lassaient du visage gourmé et de la figure barbative de leurs pères. Ils enviaient la dentelle, les moustaches et les bottes à grands revers de messieurs les courtisans.

Cependant la différence entre les deux classes restait encore nettement marquée : rien qu’à voir passer dans la rue ceux-ci, tout plumes, soie et dentelles, ceux-là habillés de sombre, tout laine et en bonnet carré, on eût cru deux mondes à part. Il y avait, en effet, dans la nation, deux sortes d’hommes : l’homme d’épée et l’homme de robe.

J’ai dit le civil, avec ses habitudes de prudence, de gravité, de