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Tels qu’ils sont, ils se montrent ; et, rien qu’en se montrant, ils font ressortir, ils mettent dans son jour la complaisance universelle et un peu vile de Philinte, l’égoïsme féroce d’Arnolphe, la sottise de M. Jourdain, les minauderies prétentieuses d’Armande ou la préciosité solennelle de sa mère Philaminte. La leçon n’est-elle pas assez claire ? Du côté de ceux qui suivent la nature, du côté de ceux-là sont aussi la vérité, le bon sens, l’honnêteté, la vertu ; et de l’autre côté le ridicule, et la prétention, et la sottise, et l’hypocrisie, c’est-à-dire du côté de ceux qui se défient de la nature, qui la traitent en ennemie, et dont la morale est de nous enseigner à la combattre pour en triompher.

On ne veut pas cependant se rendre ; on épilogue ; on équivoque sur les mots de nature et de naturel. La nature est une chose, dit-on, le naturel en est une autre ; et cela fait deux ; et si l’on ne va pas jusqu’à dire qu’elles sont le contraire l’une de l’autre, en vérité, je crains qu’on ne le pense. Voilà une distinction dont Molière eût bien ri ! Le « bon père » des Lettres provinciales en a peu de plus réjouissantes, et c’est pourquoi je ne nommerai pas celui qui l’a trouvée. D’autres veulent que cette espèce de « religion » ou de philosophie de la nature ait pu séduire un Rousseau, disent-ils, mais non pas un Molière, un auteur comique, l’homme qui nous a laissé « une si riche galerie de vicieux et de ridicules. » C’est qu’ils n’ont pas fait attention quelle est habituellement l’espèce de ces a ridicules » et de ces « vicieux ; » et que, si leur vice ou leur ridicule est de contrarier la nature, c’est précisément ce que nous venons de dire. Mais on semble toucher plus juste quand on fait observer que ce mot de nature, vague, ondoyant et mal défini, souffre peut-être plusieurs acceptions ; que, s’il en a une dont on puisse aujourd’hui convenir, elle doit différer de celle qu’il avait pour les gens du XVIIe siècle ; et, qu’avant de savoir combien elle en diffère, ce serait de l’imprudence que d’inscrire Molière au nombre des philosophes de la nature. Il importe donc de rechercher ce que l’on entendait alors sous ce mot de nature, s’il n’était qu’un nom mystérieux dont on couvrît un grand fonds d’indifférence philosophique et d’amour des plaisirs faciles, ou au contraire, comme nous le croyons, s’il enveloppait deux ou trois idées très précises, très hardies, et beaucoup plus voisines qu’on ne le pense de celles qu’il exprime aujourd’hui.

Si je suis obligé, pour cela, de remonter un peu haut, j’en renvoie le reproche aux historiens de notre littérature. On dirait en effet, à les lire, que les Molière ou les Racine sont tombés comme du ciel en terre ; et, lorsqu’ils en parlent, s’ils comptent