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frapper d’estoc et de taille, pour donner de bonnes buffes et de bons torchons. Il y avait de tout dans son cœur. Les saintes colères et les saintes miséricordes, la facilité et l’abondance des larmes, le sourire aussi, des émotions et des joies d’enfant, le mysticisme allié à la perfection du naturel, à la netteté de vue et de parole d’une Française, de soudains emportemens et cette gaîté légère qui mousse sur les lèvres ; que de contrastes dans cette inspirée aux cheveux noirs, aux joues roses, à la voix douce et pénétrante, qui, toute petite, à l’ombre des vieux chênes, avait appris aux oiseaux à manger dans sa main ! Elle se disputa souvent avec elle-même, et elle en souffrait. Les contradictions sont à la fois le supplice et la gloire des grandes âmes.

Les saints font des miracles ; elle n’en fit point et jamais elle ne voulut en faire. On lui demanda un jour de ressusciter un enfant. On s’adressait mal ; le mort qu’elle voulait ressusciter, c’était la France. A Bourges, des femmes la priant de toucher des croix, des chapelets, elle se prit à rire et dit à la dame Marguerite la Touroulde, chez qui elle logeait : « Touchez-les vous-même ; ils seront tout aussi bons. » Quand on lui représenta que si Dieu voulait délivrer le royaume, il le ferait bien sans gens de guerre, elle répliqua aussitôt : « Les gens de guerre batailleront, et Dieu donnera la victoire. » On l’avait mise en demeure de justifier sa mission par un prodige ; elle répondit qu’elle le ferait devant Orléans, en entrant dans la ville avec un convoi et en forçant les Anglais dans leurs bastilles.

Elle en appelait à l’événement, et c’est sur l’événement qu’on l’a jugée, comme on juge les généraux et les hommes d’état. On est tenté de s’imaginer qu’elle s’imposa tout de suite à la foi comme à l’admiration. Sans doute, les simplets se rendirent bien vite ; cette surprenante apparition leur semblait venue du ciel ; tant de pureté unie à tant de grâce les subjuguait, leur prenait les yeux et le cœur. Mais les grands personnages, les gens en place, les docteurs se tenaient sur la réserve. Les savans théologiens de Poitiers, que le roi consulta, délibérèrent pendant plusieurs semaines. Après s’être assurés, par une enquête, que cette fille n’était point une aventurière, qu’il y avait en elle « humilité, virginité, dévotion et simplesse, » leur conclusion fut que, dans l’état désespéré où se trouvaient les affaires du royaume, on devait la prendre à l’essai, sans s’engager davantage. Elle promettait « de montrer devant Orléans le signe du divin secours ; » il fallait l’y conduire honnêtement, on verrait bien. L’archevêque d’Embrun, Jacques Gelu, fort en crédit à la cour de Charles VII, eut beaucoup de peine à l’accepter ; elle lui semblait suspecte. Il désirait que le roi se défiât, la tînt à distance. N’était-ce pas « une séductrice, l’envoyée d’une nouvelle secte qui le voudrait leurrer ? » Il craignait aussi « qu’on ne se rendît ridicule aux nations étrangères, les Français