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Elle avait promis de lui donner Paris, il ne l’eut que plus tard ; mais elle lui avait enseigné les moyens de le prendre. Elle avait pressenti que le jour où le duc de Bourgogne se réconcilierait avec le roi de France, l’inconstante et versatile cité, qui avait fait fête à l’étranger, reviendrait à son prince national : « Pardonnez l’un à l’autre de bon cœur, comme doivent faire loyaux chrétiens. » Lorsqu’il fut maître de la ville, il sut être clément ; il ne fut plus le roi d’une faction, il s’éleva au-dessus des partis ; c’était le conseil qu’elle lui avait donné. Une fois dans le cours des siècles, la politique voulut avoir son ange ; pour qu’un tel miracle fût possible, il fallait qu’elle fût enseignée par un grand cœur et que la foi l’aidât. Après que cet ange eut traversé la France sur un cheval noir, il monta sur un bûcher, d’où un Anglais éperdu vit sortir une colombe, et le bourreau ne put croire que Dieu lui pardonnât jamais.

Le curé de Domrémy, qui fut cité en témoignage dans le procès de révision, disait : « Je ne connus jamais sa pareille. « Il est certain que jamais personne ne lui a ressemblé, que personne ne lui ressemblera. Que chacun l’honore ou l’adore comme il lui plaît ! Sa plus belle gloire est que pour pouvoir la comprendre et l’aimer, les partis qui se la disputent doivent composer l’un avec l’autre, en élargissant leur idéal de sainteté ou de justice. Si l’église se décide à béatifier cette patriote, la société des saints sera moins homogène et l’espèce s’enrichira d’une variété toute nouvelle ; si les libres penseurs consentent à faire du jour de sa naissance un jour de fête nationale, ils devront reconnaître qu’une visionnaire peut avoir raison contre la raison, que la destinée choisit quelquefois une mystique pour lui dire son secret et sauver un peuple qui se meurt. On aura beau multiplier les explications, il y aura toujours du merveilleux dans cette histoire, et toujours l’admiration qu’elle inspire sera mêlée d’étonnement. On n’a pas encore expliqué les certitudes infaillibles de l’instinct. Comment s’y prend l’hirondelle revenant d’Egypte pour retrouver le nid caché qui l’attend entre deux chevrons d’une ferme de la Brie ? Si elle pouvait parler, elle dirait comme Jeanne : « Sachez qu’on m’a fait ma route, je suis née pour cela. »


G. VALBERT.