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était en mouvement dans l’armée. On annonçait que l’armée du grand-vizir, forte, disait-on, de 80,000 hommes, s’approchait de l’Egypte par le désert et que déjà elle était arrivée devant le fort d’El-Arisch. Or Bonaparte avait coutume de dire que, pour une invasion de l’Egypte, il n’existe que deux portes : Alexandrie, si l’on arrive par la Méditerranée ; El-Arisch, quand on vient de Syrie.

Bientôt le bruit courut qu’une trêve de quarante jours avait été conclue ; que le général Desaix et M. Poussielgue, administrateur de l’armée, avaient été désignés par le général en chef Kléber pour aller traiter, avec les Anglais et les Turcs, de l’évacuation de l’Egypte. En effet, ces messieurs vinrent s’embarquer à Damiette, le 22 décembre 1799, sur le vaisseau anglais le Tigre, monté par le commodore sir Sydney-Smith ; ils se rendirent ensuite, par Jaffa, au camp du grand-vizir.

Avant que l’on eût reçu de leurs nouvelles, il se produisit un cruel incident qui faillit rompre toutes les négociations.

Les Turcs, campés devant le fort d’El-Arisch, ignorant ou feignant d’ignorer qu’une trêve avait été conclue, sommèrent ce fort de se rendre. Il était commandé par un bon officier, le colonel du génie Cazals. Il refusa toute capitulation, et le siège commença.

Mais l’on avait parlé à la garnison de la trêve, de l’évacuation prochaine de l’Egypte ; on en concluait l’inutilité de la défense. Il se forma dans la garnison deux partis : les braves, qui voulaient, avec le commandant, défendre le poste, et les mécontens, qui demandaient la capitulation. Ceux-ci eurent l’infamie d’ouvrir une poterne aux Turcs. Une fois dans la place, les Turcs se mirent à couper la tête à tous les Français, sans distinction. Les traîtres rentrèrent dans le devoir et reprirent les armes ; tous se réunirent contre les Turcs et en tuèrent un grand nombre ; mais il était trop tard, et, quand il jugea la situation désespérée, un brave homme, garde d’artillerie, nommé Triaire, s’enferma dans le magasin à poudre et y mit le feu. Le fort sauta avec tous ceux qu’il contenait, Français ou Turcs.

Cet acte de désespoir eut lieu vers le 30 décembre ; mais nous ne l’apprîmes que plus tard. Malgré cette infraction à la trêve convenue, dont les Anglais et les Turcs s’excusèrent de leur mieux auprès du général Kléber, cette trêve fut prolongée, et, le 9 février, le traité d’El-Arisch fut lu à la parade.

Par ce traité, l’armée devait être transportée en France, avec armes et bagages, aux dépens des Anglais et des Turcs. Elle devait remettre immédiatement à l’armée du grand-vizir les places situées sur la rive orientale du Nil. L’Egypte entière devait être évacuée